Un rapport pointe à nouveau le manque d’indépendance de la CEDH

Une ONG a accusé plusieurs juges de la Cour Européenne des Droits de l’Homme d’avoir siégé dans des décisions où ils avaient des conflits d’intérêts, rapporte Le figaro.

Trois ans après la publication d’un premier document pointant le manque d’indépendance de la Cour européenne des droits de l’homme, le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) a publié, jeudi 11 mai dernier, un nouveau rapport dénonçant toujours «une série de problèmes structurels affectant l’impartialité de la Cour». Les juristes de l’organisation estiment toutefois qu’une partie de leurs griefs contre la CEDH ont été entendus : «la CEDH et le Conseil de l’Europe ont entrepris de corriger certains aspects du système et de proposer des mesures pour améliorer la sélection, l’indépendance et l’impartialité des juges de la Cour, ainsi que la transparence de l’action des ONG», se félicite le directeur de l’ECLJ, Grégor Puppinck. Tout en regrettant que, depuis 2020, la CEDH ait encore prononcé 34 jugements malgré des situations de conflit d’intérêt, selon ses calculs.

«Après notre premier rapport, la CEDH n’avait pas souhaité réagir publiquement à nos observations, mais je sais qu’elle les a étudiées et prises en compte en partie, notamment en révisant sa Résolution d’éthique judiciaire pour renforcer certaines obligations des juges» détaille Grégor Puppinck auprès du Figaro. Ce document qui précise les règles déontologiques auxquelles sont soumis les juges de la CEDH leur interdit désormais de «participer à aucune affaire qui pourrait présenter un intérêt personnel pour eux». La Cour est composée de 46 juges, un par pays membres du Conseil de l’Europe. Ils sont élus par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pour un mandat de neuf ans non-reconductibles, parmi trois candidats proposés par le gouvernement de chaque État membre.

L’ECLJ rappelle aussi qu’à la suite de la publication de son premier rapport, le Conseil des ministres du Conseil de l’Europe a lancé une mission d’experts sur l’indépendance de la CEDH, qui n’a pas encore rendu ses conclusions. Grégor Puppinck y siège d’ailleurs, en tant que représentant du Saint-Siège (le Vatican dispose, depuis 1970, d’un statut d’observateur au Conseil de l’Europe).

Mais, regrette Grégor Puppinck, de nombreuses situations de conflits d’intérêts persistent, compte tenu notamment des engagements passés de plusieurs des juges de la CEDH dans des ONG défendant des positions militantes face aux États qui ont parfois maille à partir avec la Cour.

Parmi les exemples cités par le rapport, celui du juge bulgare Yonko Grozev attire l’attention : membre éminent de l’ « Open Society » de Georges Soros, le juge Grozev a fondé et dirigé pendant vingt ans le Comité Helsinki en Bulgarie, une instance issue de l’open Society et engagée pour la défense des droits de l’homme. Or le Comité Helsinki a été confronté au gouvernement bulgare dans plusieurs contentieux, dont certains ont été jugés par la CEDH. À quatre reprises, le gouvernement bulgare a demandé à la Cour le départ du juge Grozev, considéré comme étant juge et partie dans ces affaires : chaque fois ce déport a été refusé, et Yonko Grozev a siégé à la Cour lors des délibérations au sujet d’affaires impliquant l’ONG dont il était le fondateur. Chaque fois, du reste, le Comité Helsinki a obtenu gain de cause et le gouvernement bulgare a été condamné.

Entre autres recommandations, l’ECLJ demande à la Cour d’exiger la publication d’une déclaration d’intérêts exhaustive de la part de ses juges. «Ce principe a été systématisé dans la plupart des juridictions, estime Grégor Puppinck. En France la Cour de cassation, en Allemagne la Cour de Karlsruhe, le font depuis longtemps… ou même, pour comparer ce qui est comparable, la Cour de justice de l’Union européenne !» De façon plus générale, l’ECLJ estime que les compétences juridiques des juges de la CEDH sont de qualité variable : «certains pays du Conseil de l’Europe, comme l’Albanie ou l’Ukraine, n’ont pas de véritable institution judiciaire indépendante du pouvoir. Il est donc parfois difficile de trouver des personnalités dans ces pays, ayant les qualités morales et professionnelles requises pour faire des juges du niveau de ce que l’on peut attendre de la plus haute juridiction européenne», estime Grégor Puppinck, rappelant que la CEDH intervient en dernière instance pour juger des affaires sur lesquelles les plus hautes juridictions nationales, et donc les juges les plus éminents de chaque État, se sont déjà prononcées.

L’ECLJ relève encore des doutes sur la véracité des CV de certains juges de la CEDH, et reproche à la Cour de ne pas contrôler les déclarations de ses juges : Grégor Puppinck interroge notamment la qualité d’avocat revendiquée par le juge albanais Darian Pavli, car aucun barreau aux États-Unis (où il a travaillé pour le compte de l’open Society) ou en Albanie n’a confirmé son inscription au barreau. Pour lever tous les doutes, Grégor Puppinck suggère à la Cour de publier les pièces justificatives attestant des qualités revendiquées par ses juges.

Didier Maréchal

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