Législatives 2022: Rachel Kéké, « guerrière » et femme de chambre, bientôt à l’Assemblée sous l’étiquette Nupes ?

Rachel Kéké, qui a mené la plus longue grève de l’histoire de l’hôtellerie à l’hôtel Ibis Batignolles, se présente pour la Nupes dans la 7e circonscription du Val-de-Marne

Rachel Kéké, porte-parole des femmes de chambres qui avaient fait 22 mois de grève pour de meilleures conditions de travail à l’hôtel Ibis des Batignolles (Paris) est tête de liste LFI (extrême-gauche – ndlr).

Elle état un des visages et surtout la voix d’une mobilisation qui avait duré 22 mois. 22 mois où, de juillet 2019 à mai 2021, les femmes de ménage de l’hôtel Ibis des Batignolles (groupe Accor) avaient fait grève pour de meilleures conditions de travail et remporté leur bras de fer contre la direction. Rachel Kéké a été investie officiellement ce week-end par la France Insoumise dans la septième circonscription du Val-de-Marne, comportant les cantons de Chevilly-Larue où elle réside, Fresnes, L’Haÿ-les-Roses et Thiais.

Rencontré par le média « 20 minutes » pour ce portrait, la femme de 48 ans était entourée de trois de ses amies. Encore et toujours entourée, Rachel Kéké la « sociable », comme la qualifient ses proches, prête à aller au combat, à moins d’un mois du premier tour des législatives dans le Val-de-Marne, où elle se présente, pour la Nupes (regroupement réalisé par les quatre principaux partis de gauche et extrême gauche française : Parti Socialiste, La France Insoumise, Europe Ecologie Les Verts, Parti Communiste – ndlr).

D’origine ivoirienne, Rachel Kéké est née en Côte d’Ivoire, en 1974, à Abobo précisément, au sud du pays, et au nord de la capitale économique, Abidjan. Elle a été élevée là-bas par un père conducteur de bus, qui lui a transmis le goût du chant, qu’elle pratique à la chorale de Ville d’Avray. De sa mère, une « bété » vendeuse de vêtements, elle a hérité de la franchise et de la pugnacité. « Les bétés, c’est des gens qui disent la vérité, les choses cash. Ils ne se laissent pas marcher dessus », dit-elle.

« Féroce » et aidante

Difficile, en effet, de marcher sur Rachel Kéké, meneuse de la plus longue grève de l’histoire de l’hôtellerie. 22 mois de lutte, au terme desquels elle a obtenu, avec ses « sœurs de lutte » de l’Ibis Batignolles, à Paris, une revalorisation salariale et une prime de panier-repas de 7,30 euros par jour, entre autres. « Il ne faut pas aller la chercher ! » en rigole sa sœur, Tatiana Kéké. « J’aime pas l’injustice. Et si je suis pas convaincue… Même un milliardaire en face de moi, je lui parle comme à une personne », abonde Rachel Kéké.

« Elle est féroce. Quand elle défend quelqu’un, elle prend ça à cœur, comme si c’était elle qui était visée », commente Sylvie Kimissa, l’autre forte tête de la grève, une Congolaise de 51 ans, son amie depuis bientôt dix ans. Car le moteur de sa force et de sa pugnacité, ce sont les autres. Tout ça a commencé très tôt, dès 12 ans, à la mort de sa mère. Rachel Kéké arrête l’école pour se consacrer à ses quatre sœurs et frères, plus petits qu’elle. « Elle est devenue une autre maman, elle s’occupait du foyer avec mes tantes. Elle était aux petits soins, elle veillait sur nous », raconte sa sœur cadette.

Victime de racisme

Une fois à Paris, à 26 ans, pour y faire de la coiffure, elle continuera à donner des coups de main. Et même plus que des coups de main, comme héberger une de ses amies pendant trois ans, ainsi que sa fille de trois mois. « Entre Africains on s’entraide », justifie-t-elle. « Elle veut aider tout le temps. Elle a ça depuis qu’elle est enfant, poursuit sa sœur. Elle m’a aidée dans mes démarches pour venir, elle m’a accueillie chez elle, elle est là quand j’ai besoin d’aide. Elle a continué son rôle de maman… »

« Je suis beaucoup humaine. Je comprends les gens. On va tous mourir. On est sur la terre, le peu de temps qu’on a, on va s’entraider. Je m’en fous de la couleur de peau », avance la candidate. Dans l’hôtellerie, à l’Ibis Batignolles où elle travaille depuis 2003, Rachel Kéké a connu des gens qui ne s’en « foutaient pas » de la couleur de peau. « J’ai croisé des gens, des clients, qui me disaient : « Nègre, rentre chez toi ». Au début ça m’a affectée. En Côte d’Ivoire, les Français n’étaient pas comme ça. Mais ici, dans la lutte, j’ai vu aussi que la majorité des soutiens étaient des Blancs. C’est la TV et la politique qui sont racistes », dit-elle.

La France l’a transformée

Vivre en France l’a apparemment endurcie. « Quand elle était petite, Rachel était timide, elle ne parlait pas beaucoup. Quand je suis venue ici en 2002 je l’ai trouvé changée, je ne l’ai pas reconnue », estime Tatiana Kéké. « C’est vrai que je ne parlais pas. Mais je ne suis pas devenue autre chose. La France m’a beaucoup appris. Parce qu’ici, on a beaucoup de droits », justifie Rachel Kéké.

En France, où elle est venue, dit sa sœur, « comme tout africain pour voir le pays colonisateur », elle connaît d’autres difficultés, financières. Elle commence avec un salaire à temps partiel, à 500 euros. Pendant 14 ans, elle ne cessera de demander un temps complet, qu’elle n’obtiendra qu’en 2017. Aujourd’hui, grâce à la grève qu’elle a lancée, elle gagne 1.700 euros nets.

« La politique s’est imposée à moi »

C’est pour ces « métiers invisibles » qu’elle se bat aujourd’hui, lassée d’avoir entendu des femmes et des hommes politiques lui dire qu’ils ne pouvaient rien faire. « Marlène Schiappa [alors secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes] est venue sur le piquet de grève en 2019. Elle nous a dit : « La grève est privée, je ne peux pas trouver de solution ». Elle n’a rien fait. On est même allées dans un bureau à Invalides, mais rien n’a bougé. La politique s’est imposée à moi ».

Et pourquoi la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), alors ? Pour « les idées de Mélenchon » dit-elle. Et parce que « [François] Ruffin, [Eric] Coquerel et [Danièle] Obono [tous députés LFI] sont venus sur nos piquets de grève. Partout où on fait la grève, ils nous soutiennent, explique-t-elle. Eric Coquerel m’a envoyé un message en janvier. Je suis une guerrière donc j’ai dit oui ! »

« Le but, c’est encore de vous aider »

Dans sa campagne, elle veut mettre en avant l’augmentation du Smic promise par Jean-Luc Mélenchon, de meilleures conditions de travail, et une loi sur les violences sexuelles – « ici, on est nombreuses à être victime, celle-là même l’a été », dit-elle en pointant une de ses amies. Elle veut se débarrasser de Parcoursup, pour « laisser les enfants faire ce qu’ils veulent », et bloquer les prix des produits de première nécessité. Elle n’a en revanche pas grand-chose à dire sur l’environnement ou l’écologie, qui est pourtant un pilier du programme de la Nupes. « Je laisse ma suppléante en parler », dit-elle, visiblement gênée.

Les femmes de l’hôtel Ibis sont tristes de la voir partir. « Qu’est-ce qu’on fera sans elle ? » se demandent-elles. Mais Rachel Kéké les rassure : « Le but, c’est encore de vous aider. C’est un autre combat que je vais mener. »

Joseph Kouamé (basé sur le portrait réalisé par le média « 20 minutes »)

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