Un responsable de McKinsey avait déclaré devant la Commission d’enquête que son employeur s’acquittait bien de l’impôt sur les sociétés en France. Une affirmation qui entre en contradiction avec les informations obtenues par la commission d’enquête du Sénat.
Un nouvel épisode dans le feuilleton McKinsey. Le bureau du Sénat a annoncé, mercredi 18 mai, dans un communiqué, avoir décidé « de saisir le parquet » après « une suspicion de faux témoignage » sur la situation fiscale du cabinet de conseil en France, auquel l’exécutif a eu souvent recours lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron.
Dans leur rapport explosif sur l’influence croissante des cabinets de conseil dans l’Hexagone, publié en pleine campagne présidentielle, les sénateurs Éliane Assasi et Arnaud Bazin (CRCE et LR) affirmaient que le cabinet américain échappait à l’impôt sur les sociétés (IS) en France. S’il y était théoriquement bien assujetti, «ses versements s’établissent à zéro euro depuis au moins 10 ans», concluait la commission, décrivant la situation comme un «exemple caricatural d’optimisation fiscale». Or, ce constat était contraire aux propos «tenus sous serment» par le directeur associé du cabinet, Karim Tadjeddine : mi-janvier, celui-ci assurait «nous payons l’impôt sur les sociétés en France et l’ensemble des salaires sont dans une société de droit français qui paie ses impôts en France».
Fin mars, quelques semaines après la publication du rapport, la commission d’enquête avait donc annoncé saisir la justice pour, précisément, «faux témoignage devant la commission d’enquête», de la part du directeur associé du cabinet. De son côté, l’entreprise a toujours réfuté ces accusations, assurant payer l’impôt dû.
Lever une «argutie procédurale»
L’annonce de cet après-midi vient, en réalité, «lever une argutie procédurale», explique une source sénatoriale au « Figaro ». Le 25 mars, la commission d’enquête a voulu saisir le procureur, «car il est interdit de mentir» lors d’une audition, comme le rappelle l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958. Mais, précise cet article, «les poursuites prévues au présent article sont exercées à la requête du président de la commission ou, lorsque le rapport de la commission a été publié, à la requête du bureau de l’assemblée intéressée». Or, le courrier de saisine n’a été rédigé et envoyé au procureur que quelques jours après la publication du rapport, lorsque la commission d’enquête n’existait déjà plus : les textes interdisaient donc les poursuites, sauf si elles étaient requises par le bureau du Sénat. Ce qui a été validé ce jour, «à l’unanimité», nous précise-t-on.
«Le bureau a levé un obstacle procédural pour que le parquet soit saisi en bonne et due forme, résume cette source sénatoriale. Nous faisons totalement confiance à la justice, qui va regarder les choses de près» : in fine, la saisine n’a perdu qu’un mois et demi, du fait de ces dispositions procédurales. «Il n’y a pas de mauvaise volonté du côté du parquet», rassure-t-on également. Une chose est sûre : les sénateurs ne voulaient pas voir la saisine s’effondrer pour une simple question de procédure.
Désormais, «il appartiendra au parquet de déterminer les suites judiciaires à donner, dans le respect du principe de séparation des pouvoirs», précise le bureau du Sénat dans son communiqué. Mais une enquête pourrait prendre plusieurs mois, voire des années, puisqu’il faut d’abord déterminer si McKinsey échappe à l’IS en France. Sans quoi, l’accusation de faux témoignage ne peut être étayée ni réfutée.
Plus largement, au-delà du simple volet fiscal qui ne concerne que McKinsey, le Sénat compte bien s’occuper du sujet de fond du recours aux cabinets de conseil par l’État. Une proposition de loi transpartisane, réunissant notamment les membres de la commission d’enquête, doit être déposée «fin juin». Objectif : «qu’elle soit examinée par le Sénat à l’automne prochain» et qu’elle permette de mieux encadrer le recours à ces entités privées. En attendant, le parquet national financier (PNF) poursuit son enquête visant le «statut fiscal» de McKinsey en France, ouverte fin mars.
Didier Maréchal