La vice-présidente du Parlement européen, Eva Kaili, écrouée pour des soupçons de corruption par le Qatar

Depuis plusieurs mois, les enquêteurs belges « soupçonnent un pays du Golfe d’influencer les décisions économiques et politiques du Parlement européen ». Eva Kaili, vice-présidente du parlement européen, et cinq autres personnes ont été interpellées et trois sont écrouées.

Au domicile d’Eva Kailli, vice-présidente du parlement européen, les enquêteurs ont découvert plusieurs sacs remplis de billets, dont le montant total restait inconnu hier soir, précise « L’Echo ». Plus tôt dans la journée, c’est le père d’Eva Kaili qui a été interpellé en train de se déplacer avec une valise d’argent liquide. La police le soupçonne d’avoir été informé de l’opération en cours par des complices, toujours selon les informations du quotidien belge.

Cinq personnes ont été arrêtées vendredi 9 décembre à Bruxelles, dans le cadre d’une enquête d’un juge financier sur des soupçons de « corruption » et de « blanchiment d’argent » au sein du Parlement européen, a annoncé le parquet fédéral belge. Ces soupçons impliqueraient le Qatar, selon une source judiciaire à France Télévisions, confirmant une information du journal francophone « Le Soir » et de l’hebdomadaire flamand « Knack ».

Parmi les personnes interpellées, on retrouve l’eurodéputée socialiste grecque Eva Kaili, qui est une des vice-présidentes de l’assemblée. Quatre hommes ont également été arrêtés dans la matinée : le compagnon d’Eva Kaili, Francesco Giorgi, qui est assistant parlementaire, le dirigeant syndical italien Luca Visentini, l’ancien eurodéputé italien Pier-Antonio Panzeri, qui a siégé de 2004 à 2019, ainsi qu’un directeur d’ONG.

Seize perquisitions

Depuis plusieurs mois, les enquêteurs belges « soupçonnent un pays du Golfe d’influencer les décisions économiques et politiques du Parlement européen, cela en versant des sommes d’argent conséquentes ou en offrant des cadeaux importants à des tiers ayant une position politique et/ou stratégique significative » au sein de cette institution.

Vendredi matin, 16 perquisitions ont été menées par la police dans diverses communes de la capitale belge. Outre les quatre arrestations, la police a mis la main sur « environ 600 000 euros en liquide », ainsi que « du matériel informatique et des téléphones portables » dont les contenus seront analysés.

Les cadeaux ou avantages offerts pourraient être liés à la volonté du Qatar d’améliorer sa réputation décriée en matière de droits humains et de traitement des travailleurs étrangers.

Parmi les interpellés, le secrétaire général de la Confédération syndicale internationale (CSI, ou Ituc en anglais), Luca Visentini, évoquait encore cette semaine la situation des travailleurs au Qatar, dans un entretien diffusé vendredi par l’AFP. Ce responsable italien appelait en particulier à «continuer de faire pression sur les autorités et les employeurs» pour de meilleures rémunérations et davantage de mobilité dans le travail.

Dans un message succinct sur son site, la CSI s’est dite «au courant des informations circulant dans la presse», mais a refusé tout commentaire «à ce stade». Quant au parti socialiste grec (Pasok-Kinal) dont Eva Kaili était membre, il a annoncé dans la soirée à Athènes qu’elle en était «écartée».

Les morts des travailleurs

Cette ancienne présentatrice télé de 44 ans, qui est un des quatorze vice-président du Parlement européen, avait rencontré, au Qatar, peu avant le début du Mondial de football, le ministre qatari du Travail Ali bin Samikh Al Marri. L’élue grecque avait salué à cette occasion, au nom de l’UE, l’engagement du Qatar à «poursuivre les réformes du travail», selon un tweet de l’ambassadeur de l’Union à Doha Cristian Tudor.

«Aujourd’hui, la Coupe du monde de football au Qatar est une preuve concrète de la façon dont la diplomatie sportive peut aboutir à une transformation historique d’un pays dont les réformes ont inspiré le monde arabe», avait aussi déclaré Eva Kaili à la tribune du Parlement européen le 22 novembre. «Le Qatar est un chef de file en matière de droits du travail», avait-elle affirmé.

Le Qatar, pays organisateur du Mondial-2022, a été accusé par des ONG de négliger les conditions de travail et de vie de ses centaines de milliers de travailleurs migrants venus d’Asie et d’Afrique. En réponse, Doha a fait valoir des réformes inédites du code de travail, saluées par des organisations syndicales, qui appellent néanmoins à une application plus rigoureuse.

Eva Kaili écrouée ce dimanche

Une source judiciaire a indiqué à l’AFP que Mme Kaili et trois autres personnes avaient été écrouées par un juge bruxellois, deux jours après leur interpellation dans une enquête ciblant les agissements du pays organisateur du Mondial-2022.

Mme Kaili n’a pas pu bénéficier de son immunité parlementaire car l’infraction qui lui est reprochée a été constatée « en flagrant délit », a expliqué la même source judiciaire. Cette source a confirmé des informations de presse selon lesquelles des « sacs de billets » ont été découverts dans l’appartement de l’élue socialiste grecque. Ce domicile dans la capitale belge a été perquisitionné vendredi soir. Et celui d’un autre eurodéputé socialiste, le Belge Marc Tarabella, l’a été samedi soir, a ajouté la source judiciaire. Ce dernier n’a pas été interpellé.

Pour assister la police fédérale dans cette seconde perquisition, la présidente du Parlement européen Roberta Metsola est revenue de Malte à Bruxelles dans la soirée, a indiqué un de ses porte-parole. La présence de la présidente est requise pour un tel acte d’enquête visant un eurodéputé élu en Belgique « comme le veut la Constitution belge », a-t-on expliqué.

Cette affaire est « honteuse et intolérable » et elle porte atteinte de manière « très grave » à la réputation du Parlement, a réagi dimanche le commissaire européen à l’Economie, Paolo Gentiloni.

Selon la presse belge, l’ancien eurodéputé italien Pier-Antonio Panzeri, désormais à la tête de l’ONG Fight Impunity, a lui aussi été écroué dimanche. Il comptait comme Mme Kaili parmi les six personnes interpellées vendredi à Bruxelles, au terme d’au moins seize perquisitions. Deux de ces suspects ont été remis en liberté et les quatre autres placés en détention provisoire après leur inculpation pour « appartenance à une organisation criminelle, blanchiment d’argent et corruption ».

Dans cette affaire, « est suspecté le versement d’importantes sommes d’argent ou l’offre de cadeaux significatifs à des tiers ayant une position politique et/ou stratégique permettant, au sein du Parlement européen, d’influencer les décisions » de cette institution, a rappelé dimanche le parquet.

L’affaire éclate en plein Mondial-2022 de football, alors que le pays organisateur doit déployer des efforts pour défendre sa réputation décriée en matière de respect des droits humains, notamment ceux des travailleurs. Elle survient aussi à la veille d’une session plénière du Parlement européen à Strasbourg, où la relation entre l’UE et le Qatar devrait inévitablement resurgir dans les débats.

ce lundi, à Strasbourg, la présidente du Parlement Roberta Metsola a convoqué une réunion des présidents de groupes pour évoquer l’enquête judiciaire belge, ont indiqué dimanche à l’AFP deux sources au sein de l’institution. Les eurodéputés Verts et socio-démocrates s’opposeront par ailleurs au démarrage de négociations sur une libéralisation des visas pour les Qataris dans l’UE.

Samedi soir, Mme Metsola a décidé d’une première sanction contre Eva Kaili. La vice-présidente grecque s’est vu retirer toutes les tâches déléguées par la présidente dont celle de la représenter dans la région Moyen-Orient.

Des eurodéputés de gauche, dont l’écologiste Philippe Lamberts au nom du groupe des Verts, ont demandé la démission de Mme Kaili. Elle a été exclue dès vendredi soir du parti socialiste grec (Pasok-Kinal) dont elle était une figure déjà controversée.

N.B. : article mis à jour lundi 12 novembre 2022 à 9h30

Joseph Kouamé

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