Les révélations du quotidien Birgün sur le ‘mariage’ forcé d’une enfant de 6 ans relancent la polémique sur la place des confréries religieuses dans la société et leur proximité avec le pouvoir. (avec RFI et AFP).
Ces derniers jours, le scandale des abus sexuels sur mineurs a choqué et ému la Turquie. Une jeune femme a porté plainte contre ses parents. Elle les a accusés de l’avoir mariée de force lorsqu’elle avait 6 ans. La fillette de 6 ans, devenue une jeune femme de 24 ans, est seulement connue sous ses initiales H. K. G. Elle est la fille du dirigeant d’une fondation islamique, la Hiranur Vakfı, liée à l’une des plus influentes communautés religieuses de Turquie, la communauté İsmailağa.
C’est en 2020 que cette histoire a été mis au jour après que celle-ci ai déposée une plainte en novembre 2020 contre ses parents. Elle accuse ses parents, en particulier son père, de l’avoir mariée religieusement de force à l’âge de 6 ans avec un homme de âgé de 29 ans un membre de cette communauté qui l’aurait violée dès le début et tout au long de leur mariage.
Il s’agit là d’un des nombreux détails sordides que contient l’acte d’accusation finalisé seulement en octobre, dernier et qu’a révélé récemment le journaliste Timur Soykan du quotidien Birgün. L’accusation contient des preuves, notamment des photos et des enregistrements de conversations entre la plaignante et son mari. Le procureur a requis près de 68 ans de prison contre ce dernier, et 22 ans contre les parents.
Si le mariage n’a été officiellement célébré que lorsque la jeune fille a eu 18 ans, alors les signaux auraient dû alerté les autorités alors qu’elle était encore enfant. En particulier, la victime a rendu visite à un gynécologue dans un hôpital public alors qu’elle avait 14 ans, sa mère a informé plus tard que sa fille était mariée, ce qui est illégal à cet âge. La police a été prévenue, une enquête a été ouverte, mais la famille a organisé un test osseux (déterminant l’âge de l’adolescent) comme étant celui d’une femme de 21 ans, et l’affaire a été classée sans suite.
Désormais, la victime vit loin de sa famille. Elle a obtenu le divorce et attend l’ouverture du procès en janvier. Sur pression de l’opinion publique, l’ex-mari et le père ont été emprisonnés, le jeudi 15 décembre 2022.
La communauté İsmailağa, dont le père de la victime est un membre important, est l’une des principales communautés musulmanes de Turquie. Des études universitaires estiment que plus de 2 millions de Turcs entretiendraient des liens avec une de ces communautés qu’ils s’impliquent directement dans ses activités, ou qu’ils se contentent de se rendre dans une mosquée liée à une communauté et d’y nouer des relations sociales.
Depuis un siècle, celles-ci ont connu des sorts divers, à commencer par leur interdiction pure et simple aux débuts de la République laïque en 1925 qui est toujours censée être en vigueur. Mais il est indéniable que depuis l’arrivée au pouvoir du Parti de la justice et du développement (l’AKP) de Recep Tayyip Erdoğan en 2002, ces communautés bénéficient de la bienveillance des autorités. Aux dernières élections, certaines ont appelé leurs fidèles à voter pour l’actuel président, qui a rendu visite à leurs dirigeants. L’opposition accuse le pouvoir de ne prendre aucune mesure pour protéger les mineurs confiés à ces groupes religieux par leurs parents.
Malgré d’autres scandales récents (scandales d’abus sexuels dans des cours de Coran ou d’incendies meurtriers dans des pensionnats appartenant à ces communautés) elles ont toujours été largement épargnées par la justice. Enfin, depuis le coup d’État manqué de juillet 2016, elles sont soupçonnées d’avoir profité des purges massives dans la fonction publique pour y installer leurs fidèles. Dans la foulée du dernier scandale, les appels à interdire définitivement ces communautés se multiplient, notamment sur les réseaux sociaux.
Joseph Kouamé