Sara Mardini, La réfugiée syrienne qui a inspiré avec sa sœur le film « Les Nageuses », retraçant leur périple entre la Syrie et l’Allemagne, encourt jusqu’à vingt-cinq ans de prison en Grèce pour avoir aidé des migrants sur l’île de Lesbos. Son procès s’est ouvert ce mardi 10 janvier.
Les accusés, qui travaillaient pour une ONG de secours aux migrants débarquant à Lesbos depuis les côtes turques voisines, encourent « jusqu’à vingt-cinq ans de prison » pour l’ensemble des accusations, estime Amnesty International. Parmi eux : la réfugiée syrienne Sarah Mardini.
Son histoire a inspiré le film à succès « Les Nageuses »,, de Sally El Hosaini, diffusé sur Netflix depuis novembre 2022. Mais la saga de Sara Mardini, une des deux sœurs syriennes qui ont sauvé, en 2015, dix-huit réfugiés sur l’île grecque de Lesbos en tirant un canot surchargé et submergé par les eaux, est loin d’être terminée.
La jeune athlète de 27 ans qui, vit maintenant en Allemagne, risque en Grèce, jusqu’à vingt-cinq ans de prison pour « espionnage », « trafic de migrants » ou encore « blanchiment d’argent » dans le cadre d’un procès contre vingt-quatre humanitaires qui s’est ouvert ce mardi 10 janvier et devrait durer plusieurs jours.
Les audiences au tribunal de Mytilène, chef lieu de Lesbos, qui ont débutés en novembre 2021, avaient déjà été ajournées dès la première journée en raison de litiges procéduraux. Ce mardi, elles ont été ajournées jusqu’à vendredi après une première interruption en matinée en raison de l’absence de l’un des accusés et de son avocat.
La présidente de la Cour a précisé, ce mardi, que seules les accusations « d’espionnage » à l’encontre de ces travailleurs humanitaires allaient être examinées tandis que les poursuites pour les crimes de « blanchiment d’argent », de « trafic de migrants » et de « fraude » seront examinées plus tard, lorsque l’instruction sera achevée.
Cette audience tumultueuse a provoqué un grand mécontentement parmi les accusés et les ONG de défense des droits de l’homme lorsque la procédure a été engagée par un tribunal grec il y a plus de quatre ans. Les avocats des prévenus ont demandé, mardi, à la Cour, d’abandonner les charges dans ce premier volet en raison d’erreurs de procédure telles que l’absence de traduction de documents judiciaires ou le défaut d’envoi de documents à certains prévenus qui les signalent à comparaître devant le tribunal.
« Les avocats (de la défense) ont fourni des arguments irréfutables démontrant pourquoi la façon dont se déroule ce procès est inacceptable », a assuré l’Allemand d’origine irlandaise Sean Binder, l’un des principaux accusés, qui a réclamé l’application de « l’Etat de droit ». « J’espère qu’elle (la présidente de la Cour) va abandonner ces charges sans fondement comme le demande aussi Amnesty International », a renchéri la députée européenne, l’Irlandaise Grace O’Sullivan, présente à Lesbos.
« Ce procès a un objectif politique »
« Toutes les accusations contre nous que ce soit pour espionnage ou blanchiment d’argent ne tiennent pas. Ce procès a un objectif politique », a renchéri un autre accusé, le Néerlandais Pieter Wittenberg. Pour Human Rights Watch (HWR), les poursuites ont été engagées sur la base de rapports policiers contenant des erreurs factuelles « notamment des affirmations selon lesquelles certains des accusés ont participé à des opérations de sauvetage à des dates où ils ne se trouvaient même pas en Grèce ».
Sarah Mardini, réfugiée syrienne à Berlin depuis 2015, n’était pas présente à l’audience. En août 2018 lors de son arrestation, la jeune femme travaillait comme bénévole pour l’ONG ERCI sur cette île grecque qui a vu des centaines de milliers de réfugiés, notamment syriens, affluer dans des conditions dramatiques en 2015 et 2016.
Sarah Mardini a passé trois mois en prison en Grèce avant de pouvoir rentrer à Berlin. Elle n’avait pas pu se rendre à l’ouverture du procès en raison d’une interdiction d’entrer en Grèce. Dans un entretien au quotidien allemand Tagesspiegel fin 2021, la jeune femme, qui a abandonné des études dans une université berlinoise et indiqué souffrir de troubles psychologiques, avait confié son profond mal-être dû à ses démêlés judiciaires : « Je veux retrouver ma vie (d’avant). Ces trois dernières années, je n’ai pas eu de vie (…) J’existe par mon corps. Mais par rien d’autre en ce moment. »
Comme dans d’autres pays européens, ce procès révèle que les autorités grecques sont prêtes à tout pour décourager l’aide humanitaire et dissuader les personnes exilées de rechercher la sécurité. « Il s’agit pour les autorités grecques de broyer toute compassion » .
A noter que devant la multiplication des procédures judiciaires à leur encontre, les ONG de sauvetage de migrants en mer ont presque toutes cessé leurs opérations en Grèce, pays accusé de procéder à des refoulements illégaux de migrants à ses frontières maritime et terrestre vers la Turquie.
Joseph Kouamé