La Cour suprême des États-Unis d’Amérique a mis un terme, ce jeudi 29 juin 2023, aux programmes de « discrimination positive » à l’université introduits dès la fin des années 60 pour « corriger les inégalités issues du passé ségrégationniste ».
Un an après son revirement sur l’avortement, la très conservatrice Cour suprême états-unienne a mis un terme, jeudi 29 juin, aux programmes de « discrimination positive » à l’université.
Ses six magistrats « conservateurs » ont jugé, contre l’avis des trois « progressistes », contraires à la Constitution les procédures d’admission sur les campus prenant en compte la couleur de la peau ou l’origine ethnique des candidats.
Beaucoup d’universités « ont considéré, à tort, que le fondement de l’identité d’une personne n’était pas sa mise à l’épreuve, les compétences acquises ou les leçons apprises, mais la couleur de sa peau. Notre histoire constitutionnelle ne tolère pas ça », a écrit le magistrat John Roberts au nom de la majorité. « En d’autres mots, l’étudiant doit être traité en fonction de ses expériences individuelles, mais pas sur des critères raciaux ».
Un retour en arrière, selon les juges progressistes
Plusieurs universités très sélectives avaient introduit des critères raciaux et ethniques dans leur procédure d’admission à la fin des années 1960 pour « corriger les inégalités issues du passé ségrégationniste » des États-Unis d’Amérique et augmenter la part des étudiants noirs, hispaniques ou natifs-américain (« amérindiens ») dans leurs effectifs. Ces politiques, dites de « discrimination positive », ont toujours été très critiquées dans les milieux conservateurs qui les jugent opaques et y voient du « racisme inversé ».
Saisie à plusieurs reprises depuis 1978, la Cour suprême avait interdit les quotas, mais avait toujours autorisé les universités à prendre en compte, parmi d’autres, les critères raciaux. Jusqu’ici, elle jugeait « légitime » la recherche d’une plus grande diversité sur les campus, quitte à faire une entorse au principe d’Egalité entre tous les citoyens états-uniens.
Jeudi, les magistrates progressistes se sont vivement émues de cette volte-face. La Cour « revient sur des décennies de jurisprudence et d’immense progrès », a écrit, en leur nom, la juge Sonia Sotomayor. Elle « cimente une règle artificielle d’indifférence à la couleur de peau comme principe constitutionnel dans une société profondément ségréguée, où la question raciale a toujours eu de l’importance et continuera d’en avoir », assène-t-elle encore.
L’obsession d’un militant néoconservateur
Cet arrêt trouve sa source dans une plainte déposée en 2014 contre les plus vieilles universités privée et publique des États-Unis d’Amérique, Harvard et celle de Caroline du Nord.
À la tête d’une association baptisée « Students for fair admission », un militant néoconservateur, Edward Blum, les avait accusées de discriminer les étudiants asiatiques. Ces derniers, qui ont des résultats académiques nettement supérieurs à la moyenne, seraient plus nombreux sur les campus si leurs performances étaient le seul critère de sélection, avait-il plaidé.
Après avoir essuyé plusieurs défaites devant les tribunaux, il s’était tourné vers la Cour Suprême qui, elle, n’a jamais été aussi diverse qu’aujourd’hui avec deux magistrats noirs états-uniens et une hispanique.
Mais la haute juridiction a été profondément remaniée par Donald Trump et compte désormais six magistrats conservateurs sur neuf, dont le juge noir états-unien Clarence Thomas, un pourfendeur des programmes de « discrimination positive » dont il a pourtant bénéficié pour étudier à la prestigieuse université Yale.
Le gouvernement du président démocrate Joe Biden avait plaidé en vain pour le statu quo. « L’avenir de notre pays dépend de sa capacité à avoir des leaders aux profils variés, capables de diriger une société de plus en plus diverse », avait soutenu sa représentante.
Dans la même veine, des grandes entreprises, dont « Apple », « General Motors », « Accenture » ou « Starbucks » avaient souligné qu’avoir « une main d’œuvre diversifiée améliorait leurs performances » et qu’elles « dépendaient des écoles du pays pour former leurs futurs employés ».
Dans le camp républicain, la décision de la Cour suprême est saluée comme une avancée permettant de rétablir l' »égalité » entre étudiants. « Un grand jour pour l’Amérique », a notamment commenté l’ancien président Donald Trump.. « C’est la décision que tout le monde attendait et espérait et le résultat est incroyable (…). Nous revenons à (un système) entièrement basé sur le mérite et c’est comme ça que ça devrait être ! », a estimé le milliardaire sur sa plateforme « Truth Social ».
« Maintenant, les étudiants pourront rivaliser sur la base de critères égaux et du mérite individuel. Cela rendra la procédure d’admission à l’université plus juste et confirmera l’égalité devant la loi, » a également tweeté le président républicain de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy.
À l’inverse, le président des Etats-Unis d’Amérique, Joe Biden, s’est dit en « profond désaccord » avec la décision de la Cour suprême mettant un terme aux programmes de discrimination positive à l’université, et a appelé les établissements universitaires à ne pas « abandonner » leur engagement envers la diversité. « Je suis fortement, fortement en désaccord avec la décision de la Cour suprême », qui est revenue sur « des décennies de jurisprudence », a-t-il dit lors d’une allocution télévisée. Les universités « ne devraient pas abandonner leur engagement à garantir que les étudiants aient des expériences diverses qui reflètent toute l’Amérique », a-t-il ajouté.
De son côté, le chef démocrate du Sénat, Chuck Schumer, a dénoncé une « décision mal avisée » qui « met un obstacle gigantesque sur la route vers plus de justice raciale ».
Plus mesuré, Barack Obama, premier président métisé noir et blanc des États-Unis d’Amérique, a souligné que « la discrimination positive n’avait jamais été une réponse complète au besoin de construire une société plus juste ». Mais elle « a nous a donné une chance de montrer que nous méritions plus qu’une place à table », a-t-il ajouté sur Twitter.
Joseph Kouamé & Christian Estevez