« Vérif’ Infos » : 5,6 milliards de femmes pour 2,2 milliards d’hommes dans le monde ? Ces chiffres sont faux

Une publication largement relayée sur Facebook est censée présenter le rapport démographique de l’ONU pour le 1er trimestre 2023. Les chiffres qui circulent sont alarmants, avec un déséquilibre important entre les femmes 5,6 milliards et les hommes 2,2 milliards dans le monde.

Pour notre nouvelle rubrique, « Vérif’ Infos », nous expliquons ce qu’il en est véritablement.

Un message récemment rediffusé et qui s’est largement répandu, comme un virus, sur les réseaux sociaux, évoque « une pénurie d’hommes » à venir.

C’est faux : Les Nations Unies ne publient pas de données démographiques trimestrielles mais annuelles ou bisannuelles, et ses dernières estimations font état de 4,043 milliards d’hommes et de 4,002 milliards de femmes – notre espèce ayant basculé depuis 2020, avec, depuis, plus d’hommes que de femmes sur terre (+0,02% d’hommes que de femmes).

La publication circule tantôt sous la forme d’une capture d’écran, tantôt sous la forme d’un texte accompagné du logo des Nations Unies. Elle est composée d’une série de données relatives à la population mondiale avec pour titre : « la pénurie d’hommes frappe le monde ». Selon le texte « l’ONU publie le rapport démographique du 1er trimestre 2023 ». Ce rapport précise qu’il « y a 7,8 milliards de personnes sur la planète (Terre) » qui sont répartis comme suit : « Femmes = 5,6 milliards, Hommes = 2,2 milliards ».

« Ainsi, ils ont conseillé aux femmes d’être prudentes en montrant des attitudes à tout homme parce que sur les 2,2 milliards d’hommes : un milliard sont déjà mariés, 130 millions sont en prison, 70 millions sont des malades mentaux » précise la publication. « Cela signifie que nous avons à peu près 1 milliard d’hommes disponibles pour le mariage », ajoute le message qui va plus en donnant des informations plus précises sur le statut de ces hommes.

« 50 % sont sans emploi, 5 % sont homosexuels, 2 % sont des prêtres catholiques, 9 % ont des problèmes d’érection, 2% font la guerre, 32 % ont plus de 66 ans » détaille le texte. En guise de conclusion, la publication indique que « les femmes mariées et célibataires doivent traiter les hommes avec respect » car cette « pénurie d’hommes [frappe] partout dans le monde ».

Ces chiffres très exagérés attribués aux Nations Unies circulent sur les réseaux sociaux depuis au moins juin 2019 aussi bien en anglais qu’en français. Une première version du même texte qui proposait la « légalisation de la polygamie dans le monde » comme « solution pour donner une chance à certaines filles célibataires » de se marier a même été relayée par le passé.

L’AFP a contacté le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) pour savoir si ce rapport est authentique. « Ce rapport n’a pas été produit et publié par les Nations Unies » car « l’ONU ne publie par de données démographiques sur une base trimestrielle », a répondu Affan Chowdhry, chargé communication à l’UNFPA. « Les publications sont soit annuelles soit bi-annuelles selon les études », a-t-il poursuivi en renvoyant l’AFP vers les ‘Perspectives de la population mondiale’ publiées en 2022 par le Département des affaires économiques et sociales (DAES) de l’ONU, afin de connaître les dernières estimations et projections.

Les Perspectives de la population mondiale du DAES ainsi que le rapport de l’UNFPA sur l’état de la population mondiale en 2023 indiquent que nous sommes plus de huit milliards d’être humains sur la terre depuis novembre 2022 et non 7,8 comme l’indique la publication virale. En ce qui concerne la répartition hommes-femmes, Patrick Gerland, chef de la section des estimations et des projections démographiques au DAES, précise que les chiffres mentionnés dans le message qui circule sur Facebook (5,6 milliards de femmes et 2,2 millards d’hommes) sont très éloignés de la réalité.

« Nos données en lignes, en termes de milliards, au 1er juillet 2023, on estime qu’il y aura 4,043 milliards d’hommes et 4,002 de femmes pour un total de 8,045 milliards. C’est seulement 41 millions d’hommes en plus que de femmes » souligne M. Gerland.

La population mondiale compte donc à peu près le même nombre d’êtres humains des deux sexes, avec une proportion d’homme légèrement supérieure (50,3%) que à celle des femmes (49,7%), qui peut s’expliquer par plusieurs raisons, selon Géraldine Duthé, chercheure à l’Institut national d’études démographiques de France.

« Différents phénomènes peuvent jouer sur l’équilibre entre les sexes mais ils ne jouent pas aux mêmes âges de la vie et ne vont pas tous dans le même sens. Ainsi, sans intervention particulière, il nait généralement un peu plus de garçons que de filles (environ 105 garçons pour 100 filles). Lorsque la préférence pour les garçons est importante, le déséquilibre à la naissance peut être plus marqué (plus de garçons naissent que de filles en particulier du fait d’avortements sexo-sélectifs) d’où une proportion de garçons plus élevée en Asie », explique Géraldine Duthé.

La chercheure précise cependant, qu’après « la naissance, la mortalité des garçons est généralement plus élevée que celle des filles ce qui induit un rééquilibrage au fil des âges. En outre, chez les adultes, la mortalité des femmes est généralement plus faible que celle des hommes (sauf dans des contextes de très forte mortalité qui va de pair avec une forte mortalité maternelle). Et aux âges élevés, la population est donc majoritairement féminine », conclut-elle.

La publication sur Facebook indique que « un milliard [d’hommes] sont déjà mariés » à travers le monde. L’AFP n’a pas été en mesure de confirmer ou infirmer ce chiffre pour l’ensemble des hommes mariés. La proportion du nombre d’hommes mariés par pays et par classe d’âge est néanmoins disponible sur le site des Nations Unies (World Marriage Data).

Quant au chiffre relatif au nombre d’hommes en prison (« 130 millions »), il semble très exagéré par rapport aux données consultées par l’AFP. Selon les données du site « World Prison Brief », un projet de l’ « Institute for Crime & Justice Policy Research », de l’université de Londres, un peu plus de 11 millions de prisonniers sont enregistrés dans le monde.

« En ce qui concerne les chiffres de la population carcérale, la dernière édition de notre liste de la population carcérale mondiale (publiée en décembre 2021) a révélé qu’il y avait environ 11,5 millions de personnes (hommes et femmes) en prison dans le monde », a indiqué à l’AFP Helen Fair, chercheure au sein du projet World Prison Brief. Nous sommes bien loin des 130 millions d’hommes en prison avancés sur Facebook.

En ce qui concerne les hommes qui présenteraient une maladie mentale (70 millions), les chiffres de la publication virale semblent au contraire largement sous-estimés. « En 2019, une personne sur huit dans le monde – soit 970 millions de personnes – présentait un trouble mental, les troubles anxieux et les troubles dépressifs étant les plus courants » estime l’ONU dans une publication datée du 8 juin 2022. Ces estimations sont semblables à celles de la plateforme « Global Burden of Disease Survey » (GBD), une base de données en ligne GHDx et produite par l’Université de Washington.

Les données de ce projet dédié aux causes de morbidité dans le monde indiquent qu’en 2019 (dernière mise à jour), un peu plus de 462 millions d’homme souffrent d’une maladie mentale. Il s’agit d’un chiffre sept fois plus élevé que celui avancé par la publication Facebook.

Ce n’est pas la première fois que cette publication relative à la pénurie d’homme sur la terre refait surface. En Octobre 2020, l’AFP avait déjà identifié plusieurs liens viraux sur ce sujet. La raison de ces fausses informations est très claire : pousser les femmes à accepter de se partager, à plusieurs, un même homme, par une polygamie officielle ou non. Un procédé d’hommes sans scrupules pour se permettre de jouir d’un harem qui indique que ces hommes en question manque de véritable masculinité, celle qui consiste à obtenir les faveurs d’une femme à partir de ses propres mérites plutôt que d’user de la peur et du mensonge.

Joseph Kouamé & Christian Estevez

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