Israël : des restaurants restent ouverts le soir de Tisha Beav pour protester contre la réforme judiciaire

En dépit des dispositions légales stipulant la fermeture obligatoire des restaurants le mercredi soir jusqu’au lendemain matin à 5 heures à l’occasion de Tisha BeAv, jour de deuil national juif, plusieurs restaurateurs de premier plan ont décidé de rester ouverts ce soir-là. Ils exprimeront ainsi leur protestation contre la réforme judiciaire.

Des restaurateurs enfreindront la loi de 1997 et son amendement de 2002 qui leur imposent la fermeture en ce jour particulier de Tisha Beav (jour de deuil de la nation juive, regroupant la commémoration de quatre événements dramatiques de l’histoire du peuple juif – ndlr) . Pendant ce temps, les Juifs pratiquants jeûneront toute la journée, pleurant la destruction du Temple de Jérusalem en 586 avant notre ère et son remplacement en 70 de notre ère, la destruction de la forteresse de Betar par les légions romaines de l’empereur Hadrien, la signature de l’édit qui bannit les Juifs d’Angleterre par Edouard 1er, en 1290, et l’expulsion des juifs d’Espagne en 1492.

En signe de protestation contre la réforme judiciaire menée par le parti de droite « Likud » et les cinq partis religieux membres de la coalition, certains restaurateurs, chose rare, ont annoncé qu’ils braveraient la loi en restant ouverts lors du jour de Tisha BeAv. Sharon Cohen, propriétaire du très apprécié restaurant de poissons et fruits de mer (aliments interdit de consommation dans le judaïsme), « Shila », à Tel Aviv, a décidé de ne pas fermer les portes le soir de Tisha BeAv pour la première fois depuis les 18 ans d’ouverture du restaurant. Elle souhaite ainsi manifester contre ce qu’elle perçoit comme un excès de pression religieuse accompagnant le mouvement de réforme judiciaire. « Je suis athée, mais jusqu’alors nous fermions pour Tisha BeAv en signe de respect pour les personnes religieuses », explique Cohen, 47 ans, au « Times of Israel », ce mercredi 26 juillet, « Mais ils ne nous rendent pas la pareille : le pacte est rompu, et je ne vois plus aucune raison de fermer boutique et renoncer à un jour d’activité. »

La réforme judiciaire démantèle les institutions supposées nous protéger contre la coercition religieuse, ajoute Cohen. « Nous voulons un nouveau contrat social. Nous ne nous laisserons pas piétiner par ces fondamentalistes ». Mais, note Cohen, certains membres de l’équipe de « Shila » ne sont pas d’accord avec ma décision et aimeraient que l’on ferme pour Tisha BeAv. « Ceux auxquels cela pose problème se sont exprimés et nous en avons parlé. Mais le restaurant restera ouvert ».

Yuval Ben Neriah, chef et copropriétaire du restaurant « Taizu » de Tel Aviv, « demande à ses clients de venir dîner pour Tisha BeAv en signe de protestation », rapporte le journal Calcalist.

Itzik Hengal, propriétaire du restaurant « Pastel » à Tel Aviv, a rappelé, dans une interview pour le Calcalist, que son établissement jouxtait le tribunal de première instance de Tel Aviv et le musée de Tel Aviv. « Par respect pour ces institutions, qui représentent la liberté et la créativité et sont garantes de la justice et de la démocratie, je me sens le devoir de défendre la liberté et les valeurs libérales, en permettant à quiconque le souhaite ce soir de venir dîner chez nous », a-t-il déclaré.

Avivit Priel, cheffe du restaurant « Ouzeria » à Tel Aviv, a déclaré à « Time Out » qu’elle « regrettait d’avoir pris la décision » de fermer ce soir, décision prise à la demande de son personnel.

Haaretz estime à une quarantaine le nombre de restaurants, la plupart situés à Tel Aviv, dont les propriétaires ont déclaré leur intention d’ouvrir pour Tisha BeAv.

Haim Cohen, célèbre chef et propriétaire du restaurant « Yaffo » Tel Aviv, a expliqué à Calcalist que son établissement serait également ouvert, «non pas en signe de protestation », mais pour lutter contre la baisse des marges bénéficiaires du fait de l’inflation.

Le gouvernement est très critiqué pour avoir mis l’accent sur ses projets de lois controversés, destinés à affaiblir le système judiciaire, sans faire le nécessaire pour lutter contre les problèmes économiques croissants auxquels font face les citoyens. « Les restaurateurs doivent se battre et travailler sans relâche pour rester ouverts. J’en suis là », a-t-il déclaré. Cohen conteste l’idée qui voudrait que l’ouverture pour Tisha BeAv soit une provocation. « Ce n’est que de la légitime défense. Me demander pourquoi je provoque les religieux, c’est comme demander à une victime de violences domestiques pourquoi elle essaie de se défendre », a-t-il ajouté.

La loi punit d’amendes pouvant aller jusqu’à 2 600 shekels (630,98 euros) les entreprises qui enfreignent l’interdiction d’ouverture pour Tisha BeAv.

Les journaux de droite de la Quatorzième chaine et d’Israel National News ont dénoncé la décision de certains restaurateurs de rester ouverts, à l’opposé du magazine Time Out, qui s’en est réjoui et y voit la preuve qu’« il reste des libéraux ».

Reprenant les arguments des détracteurs de la réforme selon lesquels, au moment où les Juifs pleurent la destruction des deux anciens temples du fait de querelles intestines et d’intolérance, c’est bien la troisième incarnation du foyer national juif qui est menacée, le magazine invite ses lecteurs à « sortir dîner et s’opposer à la destruction du troisième temple, plutôt que de penser à ceux qui l’ont précédé, au moment où des lois sont prises pour limiter les libertés dont jouissent les libéraux en Israël ».

Joseph Kouamé

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