Entre le 29 septembre et le 7 octobre, au Théâtre National de Bretagne, de Rennes, se jouent sept représentations de ce monument du théâtre français qu’est « Les paravents », de Jean Genet, dans une mise en scène et une scénographie qui le sont tout autant.
La magnifique grande salle du Théâtre National de Bretagne, à Rennes (Bretagne, France), accueille, du ces 29 septembre au 7 octobre, l’une des œuvres majeures du répertoire français moderne qu’est « Les paravents », de Jean Genet, mais aussi un immense escalier d’un blanc immaculé au sommet duquel trône un immense paravent/écran, porte d’entrée du monde du monde des morts, dans une mise en scène d’Arthur Nauzyciel (directeur du TNB depuis 2017) et avec le grand scénographe cubain, de renommée internationale, Riccardo Hernández. Tous les éléments nécessaires à un grand moment de théâtre sont donc réunis pour vous permettre d’assister à quatre heures (avec entracte) mémorables d’Art(s)… Ce qui est, majoritairement, bien le cas.
Mettre en scène sur un gigantesque escalier cette pièce qui s’intitule « Les paravents » – parce que son auteur faisait de ceux-ci les lieux d’une partielle substitution à ceux de l’Algérie, et qui jouent eux-mêmes un rôle essentiel dans la mise en scène imaginée par son auteur – est un pari risqué puisque pouvant totalement trahir ce que Jean Genet a voulu transmettre de sa pensée « au monde ». Mais Arthur Nauzyciel arrive, non seulement, à éviter cela, mais, en plus, en nous installant véritablement dans l’œuvre du dramaturge par une nouvelle « reproduction de l’immatérialité » géographique voulu par Genet puisque, si les français ont cru n’y reconnaître que l’Algérie et la guerre d’indépendance qui s’y déroulait, ce n’est pas pour rien que la géographie dans laquelle se déroulent les événements sont ceux d’autres pays que l’Algérie, Jean Genet tout en pensant à cette dernière, ne parle, en réalité, que du monde des morts (l’auteur ayant dédié sa pièce « à un jeune mort »). Et puis, de paravent, il y en a bien sur cette scène, et qui ne sont autres que ce grand fond blanc, point culminant de ce monde dans lequel s’agitent les protagonistes et qui n’est autre que la porte d’entrée du monde des morts, puisque, dans cet univers, ceux-ci ne se terrent pas, ils dominent la scène du théâtre de la vie, d’où ils voient l'(in)Humanité s’agiter, et dans lequel toute celle-ci finit, sachant, eux, l’illusion du « Bien et du Mal » auxquels seule l’ignorance humaine donne vie, mais aussi ce cadre vide, aux dimensions semblables au reste du décor descendant au milieu de l’escalier le temps d’un tableau, et qui transforme le spectateur en téléspectateur, pour lui rappeler – au moins inconsciemment, que, pour paraphraser l’auteur, tout cela est vrai mais est également faux, soit l’essence même d’une représentation, qu’elle soit théâtrale et, encore bien plus, par nombres d’aspects, télévisée.
Et puis, ce fameux escalier blanc immense dont le metteur en scène fait, finalement, le grand protagoniste de son adaptation des « Paravents », fait, à son insu et à celui du metteur en scène, office « d’édifice monumental » et universel à tous les morts, qui, dans notre monde, sont honorés séparément, selon le camp, le combat vécu, alors qu’ils sont bien tous des héros-victimes, d’un « blanc immaculé » pour cacher tout le sang qui a tâché toutes ces vies, mais qui est si bien choisi – quoi qu’involontairement -, puisque faisant référence à la pureté d’une cause et de ceux qui l’ont défendu d’une façon où d’une autre, alors, qu’en réalité, cette couleur est la seule a n’être pas pure puisse qu’étant le résultat d’un agrégat de toutes les autres. Et c’est bien là le sens profond de ce chef d’œuvre de Jean Genet, lui qui, bien que, comme cela se constate objectivement, critique autant les français que les combattants arabes, se refusant à définir des « gentils » et des « méchants », est, encore à notre époque (et peut-être même plus que jamais), est pris en otage par un militantisme « décolonial » devenu un élément de la morale dominante de la gauche et surtout de l’extrême gauche française,
C’est, d’ailleurs, sur ce point précis que l’adaptation du metteur en scène, Arthur Nozyciel, trouve son point négatif. Et si cela ne se ressent pas vraiment durant la pièce elle-même, c’est par son ajout d’une vidéo précédent la seconde partie de la représentation, dans laquelle sont lues des lettres rédigées par un jeune médecin ou étudient en médecine, entre 1957 et 1959, tandis qu’il se trouvait dans la ville de Tlemcen. Avoir connaissance du contenu de ces lettres n’est pas intéressant puisqu’elles témoignent d’une réalité qui n’est pas possible de nier, mais cela conduit à un acte partisan, militant, qui, en plus de sortir le spectateur du récit de Genet, parasitant celui-ci, de la même manière, par exemple, que le ferait une réclame vantant l’utilisation d’une télévision 3D au milieu du film de Woody allen « La rose pourpre du Caire », sous le prétexte que l’héroïne du film vit une histoire d’amour avec l’un des personnages du film titre sorti de l’écran de cinéma, dit au spectateur comment il doit « bien penser », utilisant des éléments de l’œuvre pour lui faire dire ce qu’elle ne dit pas, Jean Genet ayant lui-même déclaré, à propos de sa pièce « Les paravents », qu’il s’agissait d’une méditation sur la guerre d’Algérie, ce qui ne veut pas dire, une « condamnation du colonialisme français de facto ».
Outre l’immanquable escalier, cette adaptation des « Paravents » est également servie par seize interprètes – soit autant que de tableaux qui composent la pièce -, interprétant une multitude de personnages, comme l’a conçu Jean Genet. Cependant, comme pour la substitution de paravents par un escalier, Arthur Nozyciel (le metteur en scène), va contre la volonté de l’auteur puisque les comédiens, ici, sont de nombreuses origines nationales et ethniques – dont des pays du « monde arabe » -, alors que Genet avait formellement ordonné qu’il n’y ai pas d’interprètes arabes dans sa pièce, afin de ne pas coller au réel – ce qui n’est qu’imiter celui en se faisant passer pour lui. Mais, sur ce point, nous ne voyons pas de véritable trahison du metteur en scène envers l’auteur et sa volonté concernant l’interprétation puisque, ici, les interprètes jouent plusieurs rôles sans distinction de quelconque origine, contrairement à ce que s’était permis de faire Patrice Chéreau dans son adaptation, en 1983. Qui plus est, le générique artistique de la présente version des « Paravents » montre beaucoup de talent dans cette interprétation exigeante de l’œuvre (elles le furent toutes puisque le théâtre de Genet l’est lui-même toujours). Et, si, sur le coup, nous n’avons pas vu de raison valable de faire se déplacer les comédiens en marche arrière, et toujours d’un pas extrêmement lent, tant qu’ils ne sont pas directement en contact avec l’escalier qui constitue l’intégralité de la scène, si ce n’est pour montrer le capacité de synchronicité digne des meilleures montres suisses, notre « digestion intellectuelle » de ce qui nous a été donné d’assister nous a permis d’en venir à trouver, en définitive, la symbolique (qui n’est peut-être nullement celle pensée pour le jeu des acteurs) d’êtres hors du temps et à rebours de la vie, ce gigantesque escalier sur lequel, tantôt nous arrivons à gravir de belle manière les marches, tantôt nous dégringolons avec violence et fracas, mais dont, au bout du coup, nous atteignons, fatalement, le sommet.
Christian Estevez