Ces planètes semblent être des mini-Neptunes chaudes, ayant conservé une configuration stable pendant des milliards d’années. C’est un exemple remarquable pour explorer la formation planétaire dans son ensemble. (Source : « Nature »)
C’est une sorte de symphonie céleste qui pourrait servir d’inspiration à des artistes contemporains. La façon dont les planètes gravitent autour de leur étoile suit parfois des règles dynamiques fascinantes appelées «résonances». Les interactions gravitationnelles sont si précises que le système se verrouille, créant des situations où une planète effectue un certain nombre de tours autour de son étoile pendant que d’autres en font exactement deux, trois ou quatre. C’est ce qu’on appelle les résonances 1:2, 1:3 ou 1:4. Par exemple, si une planète effectue deux orbites pendant que l’autre en effectue trois, on parle alors d’une résonance 2:3.
Une équipe internationale d’astronomes vient ainsi de mettre au jour un nouveau système «résonnant» composé de six exoplanètes, grâce aux efforts conjoints des satellites TESS (de la Nasa) et Cheops (de l’Agence spatiale européenne). Ce système planétaire est présenté dans la revue « Nature » . Si la prestigieuse revue a accepté cet article, c’est à la fois que des systèmes aussi complexes sont rares (on n’en compte pas plus d’une poignée), mais aussi parce que celui-ci présente quelques particularités qui le rendent tout à fait unique.
C’est, pour commencer, la première fois qu’on retrouve un système de plus de quatre exoplanètes autour d’une étoile aussi grosse – environ 80% de la masse de notre étoile. Si l’on a déjà identifié plus de 5 000 exoplanètes dans notre galaxie, les relevés sont en effet encore largement biaisés. La principale méthode de détection consiste en effet à tomber par hasard sur un «transit», sorte de mini-éclipse qui fait légèrement baisser l’éclat d’une étoile de manière transitoire quand une de ses planètes passe dans la ligne de visée. Les transits devant de petites étoiles présentent l’avantage d’être plus occultants et donc plus faciles à détecter.
Autre particularité, toutes les planètes de ce système sont a priori des mini-Neptunes, c’est-à-dire des «petites géantes» très largement sur-représentées dans les catalogues, mais absentes de notre Système solaire. Avec leur cœur a priori rocheux mais une imposante atmosphère, il s’agirait des planètes les plus communes dans l’univers. Comprendre les mécanismes de leur formation est crucial pour établir des modèles génériques «solides» de naissance et d’évolution des systèmes planétaires.
Nous en venons ainsi naturellement à la dernière particularité du système. La plus complexe mais aussi la plus intéressante : sa «résonance». Celle-ci présente la particularité d’être particulièrement «pure». « Les six planètes forment une longue chaîne de résonance dans laquelle chaque couple successif est en résonance », détaille Adrien Leleu, professeur d’astronomie à l’université de Genève, spécialiste de la dynamique de ces systèmes et coauteur de l’étude. Les trois premières de planètes (b et c, c et puis d et e) sont en résonnance 3:2. En d’autres termes, le temps que la planète HD 110067 b (la plus proche de son étoile) fasse trois tours de l’étoile (qui par convention porte la lettre «a»), la suivante HD 110067 c en fait deux. Et quand HD 110067 c fait trois tours, HD 110067 d en fait deux. Les deux dernières paires (e et f, et enfin f et g)sont quant à elles en résonance 4:3. Au final, le système est assez resserré. La planète la plus proche fait une révolution autour de son étoile en 9 jours et la plus éloignée en 54 jours.
On peut voir dans la vidéo ci-dessous une visualisation de cette danse céleste, mise en musique pour montrer l’étrange symphonie que produisent ces résonances imbriquées. On notera que les planètes peuvent passer très légèrement avant ou après le point de conjonction (où elles sont au plus proches) car une résonance est rarement parfaite : il s’agit en général d’une oscillation autour de ce point de conjonction, mais stable sur des millions ou des milliards d’années. On rappelle ici que cela ne veut pas dire, comme vous l’avez peut-être déjà appris, que tout système de plus de deux corps est par nature chaotique. Un système résonant reste chaotique, au sens où il est impossible de prédire son évolution exacte. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas présenter une forme de stabilité.
Pour les plus curieux, vous trouverez sur internet d’autres représentations similaires des systèmes planétaires les plus connus, à commencer par Trappist-1 et TOI-178.
«Ces systèmes résonants sont de vrais bijoux de mécanique céleste», commente Alessandro Morbidelli, planétologue à l’Observatoire de la Côte d’Azur, chercheur au Collège de France et principal artisan du «Modèle de Nice», qui décrit la manière dont notre Système solaire s’est formé et dont la migration des planètes géantes a abouti à sa configuration actuelle. «Chaque fois qu’un système extrasolaire résonant est découvert, mon cœur fait un saut de joie car les chaînes résonantes sont la preuve irréfutable de la migration planétaire.» C’est en effet par ce jeu de résonances que notre Système solaire a pris sa forme actuelle.
En l’occurrence, le système HD 110067 se présente dans une configuration très particulière et «relativement fragile», souligne Adrien Leleu. « Nous pensons qu’elles orbitent ainsi depuis leur origine, il y a plusieurs milliards d’années, et qu’elles n’ont pas été affectées par des instabilités ou des collisions majeures. C’est très intéressant pour étudier la formation des systèmes planétaires en général. » Les chercheurs disposent en effet avec ce système d’une sorte d’étalon. Étant donné la proximité de l’étoile, un peu plus de 400 années-lumière seulement, et l’épaisseur des atmosphères, ces exoplanètes vont en outre représenter des cibles idéales pour le télescope spatial James Webb, dont l’un des grands objectifs est justement la caractérisation fine de la composition d’atmosphères.
Malheureusement, aucune de ces exoplanètes n’est a priori habitable. «On estime qu’il doit faire 170°C sur la plus froide», souligne Adrien Leleu. Rien ne dit cependant qu’il n’y a pas de planètes plus éloignées encore qui restent à détecter. Cela rendrait à coup sûr HD 110067 encore un peu plus exceptionnel.
Bruno Mariotti