Argentine : il est maintenant envisageable de régler son loyer en nature, que ce soit avec de la viande ou des briques de lait

Confronté à une inflation galopante, un décret d’urgence massif annule la loi sur les loyers, autorisant ainsi le règlement du loyer en kilos de viande, en litres de lait, en bitcoins, et d’autres moyens. (Source : AFP).

Privés de toit et de règles. Pour de nombreux Argentins, les premières conséquences concrètes d’un mois de « dérégulation » sous la présidence ultralibérale de Javier Milei se manifestent par l’aggravation de l’inflation, entraînant des loyers « libres » de plus en plus inabordables et une quête incessante de produits alimentaires à prix abordable. Entre des cartons vides et la moitié de son studio déjà emballé, Tomas Sislian, 28 ans, se prépare à quitter son quartier de toujours, Saavedra, en février. Ses propriétaires n’ont pas renouvelé son bail, évoquant « la situation compliquée de l’économie ». En d’autres termes, ils semblent attendre que le marché se stabilise pour fixer un loyer plus élevé, voire envisager une transformation en location « Airbnb ».

La crise du logement n’est pas nouvelle à Buenos Aires, où foisonnent les locations de courte durée pour étrangers dollarisés, quand le peso des « Porteños » ne suit plus l’inflation des loyers – qui ne sont d’ailleurs quasiment plus jamais réclamés en pesos. Sentant le vent venir, Tomas sonde le marché depuis des mois. Mais sans trouver rien de proche à moins de quatre fois son loyer actuel, ou qui ne soit pas exigé en dollars. Rester dans le quartier lui grignoterait 50% de son salaire de 700 000 pesos (850 dollars). «On reçoit des gens désespérés, qui nous disent qu’il ne savent pas où ils vont habiter le lendemain», assure Gervasio Muñoz, président de l’organisation « Inquilinos Agrupados » (Locataires rassemblés), en première ligne d’une situation selon lui «gravissime», d’une détresse immobilière vouée à empirer.

Chacun augmente «pour ne pas rester à la traîne»

Le «méga-décret» d’urgence publié en décembre par le gouvernement Milei, abroge, entre autres, une loi sur les loyers de 2020, amendée en 2023. Désormais, les baux ne sont régis par rien d’autre qu’un accord «libre» entre les parties : durée du bail, mécanisme de hausse, moyen de paiement, etc. Désormais, un contrat peut s’honorer en bitcoin, «et toute autre cryptomonnaie et/ou espèces, comme des kilos de bœuf, ou des litres de lait», a même imagé fin décembre la ministre des Affaires étrangères et du Commerce extérieur Diana Mondino sur son compte « X ». Un message qui lui a valu de nombreuses railleries sur un retour «féodal» au «temps du troc».

Mais le bœuf et le lait, justement, posent problème. Comme les fruits, les légumes et tout le reste. Une dévaluation, explique l’économiste Hernan Letcher, se répercute d’abord sur le prix des importations. Mais qu’un secteur utilise ou non des biens importés, chacun augmente «pour ne pas rester à la traîne. Donc une dévaluation en Argentine a un effet direct sur les prix. Les salaires ont tendance à être mis à jour en dernier…» Le grand marché central de Buenos Aires, jadis une excursion sporadique pour venir acheter en quantité ou plus frais, devient pour beaucoup un passage obligé, comme l’attestent des allées fourmillant de gens de tous âges, juste venus pour acheter un peu moins cher.

Joseph Kouamé

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