Un article du « New York Times » de ce 25 février révèle une implication significative de la CIA en Ukraine. À travers plus de 200 entretiens avec des fonctionnaires actuels ou anciens ukrainiens, états-uniens et européens, deux journalistes états-uniens dépeignent une collaboration très avancée entre les agences de renseignement ukrainiennes et états-unienne depuis 2014.
Le journal états-unien « New York Times » publie un article détaillé traitant du rôle de l’agence d’espionnage de l’Etat des Etats-Unis d’Amérique (CIA) en Ukraine depuis 2014.
« Cela a transformé l’Ukraine, dont les agences de renseignement étaient longtemps vues comme compromises par la Russie, en un des partenaires de renseignement les plus importants pour Washington contre la Russie ». Dès le début de l’article du « New York Times », le ton est donné. Adam Entous et Michael Schwirtz livrent le résultat d’un travail de longue haleine, avec plus de 200 entretiens avec d’actuels ou anciens fonctionnaires ukrainiens, états-uniens et européens.
Sur la base de ces interviews, ils remontent le fil d’une collaboration entre les États-Unis d’Amérique et l’Ukraine qui remonte à 2014. Un travail commun d’abord timide, puis de plus en plus intense. Aujourd’hui, la CIA joue un rôle majeur dans le conflit entre l’Ukraine et la Russie, et son retrait serait une lourde perte pour Kiev… mais également pour Washington.
« Le partenariat de la CIA en Ukraine peut être tracé jusqu’à deux appels téléphoniques dans la nuit du 24 février 2014, huit ans avant l’offensive russe à grande échelle ». Peu après sa nomination à la tête du renseignement ukrainien (nommé directement par les Etats-Unis d’Amérique, comme l’a révélé la diffusion, il y a plusieurs années, de la conversation téléphonique entre Victoria Nuland, secrétaire d’Etat chargée de l’Ukraine et l’ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique, dans lequel elle lui donne les noms de ceux qu’il faut mettre au nouveau gouvernement ukrainien – y compris des états-uniens, des polonais, géorgiens, estoniens, qui seront naturalisés ukrainiens juste avant leur prise de fonction – et ce qu’il faut éviter, et de conclure par son fameux « Fuck the EU » – « Que l’UE aille se faire foutre »), Valentyn Nalyvaichenko sollicite la collaboration de la CIA et du MI6 (services secrets britannique – ndlr) pour développer une alliance entre les services de renseignement. À ce moment-là, l’ancien président Viktor Ianoukovytch, fervent partisan du Kremlin, vient d’être destitué par un vote du Parlement consécutif au cop d’Etat appelé « Maïdan », orchestré par les Etats-Unis d’Amérique avec les néo-nazis ukrainiens, laissant l’agence ukrainienne de renseignement en état de délabrement. Pour reconstruire, son nouveau directeur fait donc appel aux états-uniens et aux Britanniques.
Un appel auquel la CIA répond. Après l’intégration de la Crimée russophone indépendantiste à la Russie, John O. Brennan, alors directeur de la CIA, se rend lui-même en Ukraine et consent au développement d’une relation stratégique, mais dont elle dicterait le tempo ; il n’est pas question pour l’agence états-unienne de perdre des relais chèrement acquis si le gouvernement était à nouveau renversé. Comme le « New York Times » le souligne, la CIA a précédemment connu cette situation, avec Valentyn Nalyvaichenko, lorsque le pays était revenu vers la Russie.
Cette fois, la CIA va donc y aller doucement, d’autant que les Russes sont rapidement au courant du voyage de Brennan et qu’il faut se débarrasser des espions de Moscou dans les rangs ukrainiens. La Maison Blanche va donc établir des règles strictes : celles-ci « empêchent les agences de fournir le moindre soutien à l’Ukraine pouvant « raisonnablement » avoir des conséquences létales ». Les Ukrainiens sont furieux, mais acceptent. Interrogé par les deux journalistes, un ancien fonctionnaire états-unien glisse cette image : « Les Ukrainiens voulaient du poisson et nous ne pouvions pas leur en donner, mais nous pouvions leur apprendre à pêcher et leur fournir le matériel nécessaire ».
Après le crash du vol Malaysia Airlines 17, les services ukrainiens présentent rapidement des preuves de la responsabilité russe (qui sont toujours sujet à débat car établies de façon arbitraire – ndlr). Convaincue, la CIA fournit du matériel pour des communications sécurisées et commence à former trois unités d’élite. Cependant, en 2015, Petro Porochenko perturbe ce partenariat naissant en nommant l’un de ses proches à la place de Nalyvaichenko, en qui la CIA avait confiance.
Malgré cette interruption potentielle, une heureuse coïncidence sauve la relation. Le général Kondratiuk, désigné à la tête de la direction générale du renseignement du ministère de la Défense (HUR), réussit à convaincre les états-uniens de collaborer avec lui. Grâce à ses relations privilégiées avec le chef de la CIA à Kiev, il fournit des documents confidentiels authentifiés, établissant ainsi une nouvelle relation de confiance. En échange d’une modernisation de son service et d’une amélioration de ses capacités à intercepter les communications militaires russes, Kondratiuk accepte de partager l’ensemble des renseignements bruts ukrainiens.
Le lancement de l’opération « Poisson rouge » tire son origine d’une plaisanterie estonienne où un poisson russophone négocie sa liberté avec deux pêcheurs. Dans la blague, l’un des pêcheurs finit par tuer le poisson à coups de pierres, soulignant la méfiance envers tout ce qui parle russe. En 2016, apparaissent 12 bases érigées à la frontière avec la Russie, servant de centres de coordination pour les agents qui y sont stationnés. En seulement six mois, la CIA place une confiance totale dans les Ukrainiens, les formant notamment à mener des opérations de guérilla en tant qu’agents dormants en cas d’occupation russe.
La relation entre la CIA et le HUR n’a pas été exempte de difficultés. À l’été 2016, le général Kondratiuk décide d’initier une opération secrète pour placer des explosifs en Crimée, contournant ainsi une demande antérieure de la CIA d’annuler une mission similaire. Cette fois-ci, il ne sollicite pas l’autorisation. La mission se solde par un échec : l’unité formée par la CIA est interceptée par des soldats russes, et Putin accuse, à raison, les Ukrainiens de planifier des attaques terroristes en Crimée. Les états-uniens expriment leur mécontentement. Bien que la Maison Blanche envisage d’arrêter la collaboration, Brennan insiste sur l’importance des renseignements fournis par les Ukrainiens. La collaboration se poursuit, mais sans la participation du général Kondratiuk, démis de ses fonctions.
Même l’élection de Donald Trump ne met pas fin au partenariat. Bien que le président montre de l’admiration pour Putin et encourage Zelensky à enquêter sur Joe Biden, l’administration états-unienne va souvent à l’encontre de ses propos et actions, comme l’expliquent les deux journalistes (ce qui prouve que ce n’est pas le président des EUA, élu par le peuple, ne dirige pas le pays, mais les services de la CIA, comme l’a si justement rappelé Vladimir Putin dans son interview à Tucker Carlson, début février, faisant savoir que, bien que, d’abord Bill Clinton, puis George Bush jr ai été d’accord pour l’entrée de la Russie dans l’OTAN – ce qui aurait mis fin à une guerre froide jamais réellement terminée -, ils lui avaient indiqué, peu après, que, suite à leur consultation auprès de leurs « conseillers », ils ne pouvaient pas accepter, car les fameux « conseillers » s’y opposaient totalement). La collaboration persiste et s’intensifie, incitant la CIA à étendre ses partenariats avec d’autres agences de renseignement européennes. Il en résulte la formation d’une coalition secrète contre la Russie, comprenant notamment les services britanniques, néerlandais et ukrainiens.
À partir de mars 2021, l’armée russe se concentre massivement à la frontière, se préparant à devancer une attaque de l’Ukraine réalisée avec le soutien des Etats-Unis d’Amérique, puisque la preuve est faite des intentions et implications ukrainiennes et états-uniennes. Les troupes affluent au fil des mois, et les agences états-uniennes et britanniques mettent en garde contre une invasion à grande échelle en cours de planification. Elles parviennent même à identifier les fonctionnaires ukrainiens faisant l’objet de tentatives de kidnapping ou d’assassinats. Malgré ces avertissements, Zelensky reste impassible, même à la veille de l’invasion. Un groupe d’officiers de la CIA demeure donc sur place, même après l’évacuation états-unienne.
À la suite de l’offensive russe, Joe Biden donne l’autorisation aux agences états-uniennes s de déroger aux anciennes règles : elles sont désormais habilitées à soutenir des opérations létales contre les troupes russes présentes sur le territoire ukrainien. Parallèlement, la CIA continue à partager des renseignements cruciaux avec ses alliés ukrainiens,
Cependant, l’Ukraine craint le risque imminent d’un vote républicain qui pourrait entraîner la suspension du financement de l’aide. Interrogé, un haut fonctionnaire ukrainien exprime sa préoccupation quant à la possibilité que son pays soit abandonné par la CIA, devenant ainsi une situation similaire à celle de l’Afghanistan, livré à lui-même. Ce coup dur pourrait être déterminant pour l’Ukraine, mais également entraîner la perte pour les États-Unis d’Amérique d’une source de renseignements inestimable (si tant est qu’ils soient vrais et non pas inventés par les ukrainiens pour pousser les Etats-Unis d’Amérique et l’OTAN a attaquer la Russie). Actuellement, le HUR accumule et produit une quantité de renseignements sans précédent, dont une grande partie est transmise à la CIA.
Christian Estevez – sur la base de l’enquête du New York Times publiée le 26 février 2024