Le vice-président du département d’Outre-Mer, Salime Mdéré, a été condamné à trois mois de prison avec sursis et à une amende de 10 000 euros pour incitation au meurtre.
La décision du tribunal de Saint-Denis (île de la Réunion) a été rendue ce jeudi 7 mars 2024: Salime Mdéré a été acquitté des charges d’incitation à la haine raciale, mais condamné à trois mois de prison avec sursis et à une amende de 10 000 euros pour incitation au meurtre. Il évite la peine d’inéligibilité.
Le tribunal correctionnel de Saint-Denis a condamné, hier, Salime Mdéré, premier vice-président du conseil départemental de Mayotte, à trois mois de prison avec sursis et à 10 000 euros d’amende pour « provocation à commettre un crime » après avoir déclaré qu’il « faut peut-être tuer » les « délinquants ». Poursuivi également pour « incitation à la haine raciale », l’élu a été relaxé de ces poursuites.
Une relaxe pour l’infraction la plus grave et une condamnation pour l’autre, mais sans peine d’inéligibilité comme requise par la procureure Lucile Regin. Le premier vice-président du conseil départemental de Mayotte, Salime Mdéré, évite ainsi la « mort politique », une crainte exprimée par son avocat, Me Yanis Souhaïli. Le tribunal correctionnel de Saint-Denis a fait le tri entre les infractions reprochées et les réquisitions du parquet.
Le 24 avril 2023, sur le plateau du journal télévisé de Mayotte « la 1re », cet élu, pas habitué aux prises de position les plus radicales à Mayotte, avait lancé : « Des gamins qu’on voit de loin, c’est même pas des gamins. Moi, je refuse d’ailleurs qu’on emploie ces termes-là, jeunes ou gamins, ces délinquants, ces voyous, ces terroristes. Il faut, à un moment donné, il faut peut-être en tuer. Je pèse mes mots. Il faut peut-être en tuer pour… » À l’époque, l’opération Wuambushu venait d’être lancée. L’élu était interrogé sur des affrontements entre les forces de l’ordre et des délinquants cagoulés alors que les caillassages et les violences étaient quotidiens.
Pour les juges, ces propos relèvent bien de « la provocation à commettre un crime et un délit ». Et doivent être sanctionnés par trois mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende. A l’inverse, le tribunal considère qu’ils ne peuvent être ramenés à une « provocation à la haine raciale par un chargé de mission de service public ». D’où la relaxe sur ce point. Pour le tribunal, ces déclarations ne ciblaient pas des personnes en raison de la race, de l’ethnie ou de l’origine.
« SANCTION EXEMPLAIRE »
Dans son réquisitoire, la procureure avait démontré que l’élu visait avant tout les jeunes sans-papiers issus de l’immigration comorienne en lui reprochant d’attiser la haine. La magistrate avait demandé « une sanction exemplaire à la hauteur de la gravité des faits et de la position politique de M. Mdéré ».
A la barre, l’élu, qui a reçu le soutien d’une quarantaine de membres du collectif « Réunion-Mayotte », a fait preuve de contrition en reconnaissant qu’il avait dérapé. « Ces propos ne me ressemblent pas et ceux qui me connaissent le savent. Il y avait une exaspération, a-t-il affirmé. Le lendemain, j’ai présenté mes excuses publiquement sur mon compte Facebook ». Pour son avocat, Me Yanis Souhaïli, le contexte chaotique de Mayotte était indissociable des propos polémiques de son client : « Mayotte est à feu et à sang car Mayotte se sent abandonnée par l’Etat français qui lui dit : ne vous plaignez pas, c’est comme ça ». Selon l’élu, « le message que je voulais passer est qu’il ne faut pas que les autorités attendent qu’il y ait un mort pour réagir. Car la délinquance est omniprésente et l’Etat ne fait pas grand chose pour l’éradiquer. Mais on ne retient que ma phrase. J’ai pris conscience que j’ai dit une bêtise ».
Contacté, Me Emmanuel Daoud, avocat de « La Ligue des droits de l’Homme », laquelle a été débouté de sa constitution de partie civile, comme « SOS Racisme » et le » Mrap », estime que « l’essentiel est sauf : M. Mdéré a été condamné pour les propos irresponsables et dangereux qui ont été les siens et qui ont violé la loi pénale ». « Cet élu de la République est donc considéré comme un délinquant par le tribunal et sur le plan pénal et symbolique, le jugement est lourd de sens, ajoute l’avocat parisien. Le tribunal rappelle par ce jugement que des élus ne peuvent par leurs propos publics, dans des émissions de grande écoute, violer impunément les lois de la République et c’est ce que dénonçait aussi la LDH ».
« Sur la relaxe , personne n’est dupe en France et surtout dans le département de Mayotte, il suffit de voir l’interview et de connaître la situation sur place, considère en outre Me Daoud. M. Mdéré visait bien les jeunes comoriens par ses propos. Le tribunal a pris une lourde responsabilité en relaxant car certains pourraient s’imaginer que tout peut être dit s’agissant de propos haineux et nous avons vu par le passé que des décisions de relaxe sur ce délit étaient interprétés comme des permis de chasse médiatique par celles et ceux qui attisent les haines sur fin de crise sociale, migratoire et sanitaire ».
Pour Me Yanis Souhaïli, l’avocat de Salim Mdéré, le jugement du tribunal correctionnel de Saint-Denis constitue au contraire « une décision juste et logique ». « Cette relaxe sur le délit d’incitation à la haine se justifie pleinement et est évidente, indique Me le bâtonnier de Mamoudzou. Car mon client n’avait pas visé de groupes en particulier, mais des délinquants. Sur l’autre infraction, les propos étaient effectivement problématiques. M. Mdéré l’a reconnu. Nous ne ferons pas appel ». Reste à connaître la position du parquet de Saint-Denis.
Joseph Kouamé