Sortie cinéma : « Que notre joie demeure ! », le récit fictionnel de l’attentat islamique à Saint-Étienne-du-Rouvray

Ce 24 avril voit la sortie, dans les salles de cinéma françaises, de « Que notre joie demeure ! », le nouveau film de la très prolifique et indépendante réalisatrice française Cheyenne-Marie Carron, dont c’est le quinzième long-métrage en dix-neuf ans, et qui retrace les dernières semaines de la vie de Jacques Hamel, prêtre victime d’un attentat terroriste islamique à Saint-Étienne-du-Rouvray (Normandie – France), le 26 juillet 2016, tout autant que celle du jeune fanatique ayant fait allégeance à Daesh qui fut son meurtrier, mais aussi de la mère de ce dernier.

Le nouveau film de la réalisatrice « hors système » du cinéma français, Cheyenne-Marie Carron, sort ce 24 avril dans les salles de cinéma françaises. Revenant sur le drame que fut l’attentat islamique perpétué à Saint-Étienne-du-Rouvray, le 26 juillet 2016 (soit douze jours après celui ayant eu lieu à Nice, qui fit quatre-vingt-six morts et quatre cent cinquante-huit blessés), où le prêtre, Jacques Hamel, âgé de 85 ans, fut égorgé par un duo de jeunes islamistes, « Que notre joie demeure » propose plus un récit très fictionnel des dernières semaines de la vie des principaux protagonistes que furent Jacques Hamel, son jeune bourreau Adel Kermiche et de la mère de ce dernier.

Cheyenne-Marie Carron, réalisatrice de « Que notre joie demeure »

Toute la communication sur « Que notre joie demeure » (à ne pas confondre avec le roman de l’écrivain québecois, sorti en 2023, qui n’a aucun rapport avec le film de Cheyenne-Marie Carron), précise bien que ce film est « librement inspiré de la vie du prêtre Jacques Hamel » et c’est, en fait, tellement loin de la réalité, non seulement de la vie de ce prêtre, mais également de celle de son meurtrier et, par extension, de celle de sa mère (qui, dans le film, est une mère seule alors que le jeune islamiste avaient ses deux parents, en plus de trois frères et sœurs, au lieu d’une seule sœur aînée comme présenté dans le film), qu’il aurait été préférable de présenter « Que notre joie demeure » comme une fiction inspirée de faits réels, ce qui exclu l’aspect « biographique », à juste titre. Ceci étant, nous considérons qu’il est tout aussi bien qu’il en soit ainsi. Ne garder que la « géographie de l’événement », avec son point central qu’est l’église dans laquelle l’action va se dénouer (ce que la réalisatrice rappelle par les seuls vrais plans larges du film, par vues aériennes prises avec un drone, se situant toujours au-dessus de l’édifice religieux), et créer des vies, ainsi que les faits qui vont créer l’action finale.

Car, en fait, ce film, qui – par sa forme, est bien plus proche du documentaire que du film de fiction tel qu’on l’entend généralement -, est tout à l’expression des pensées et des sentiments de la réalisatrice qui, très profondément touchée par le drame qu’elle met en scène dans ce film, s’était, selon ces propres propos, rendue à Saint-Étienne-du-Rouvray dès le lendemain de l’attentat, se jurant, déjà, d’en faire un film un jour. Ce film ne nous propose pas, de fait, de suivre la dernière semaine de la vie du prêtre Jacques Hamel, comme il le prétend (et ce outre le fait que, durant le film, alors que nous en sommes au moins au deuxième ou troisième jour à suivre le prêtre, Cheyenne-Marie Carron nous le montre prenant connaissance, sur son petit transistor, de l’attentat islamiste de Nice, le lendemain matin de celui-ci, soit onze jours avant l’assassinat du prêtre), mais plutôt de lui inventer des activités sacerdotales permettant de le présenter comme la figure archétypal du « Saint » (entre guillemets, bien sûr, puisque la Sainteté est une notion purement subjective), afin de faire de cette partie du film consacrée à Jacques Hamel (la seconde partie présentant le parcours du jeune islamiste qui commis ce meurtre) un hommage à la limite de l’hagiographie.

Daniel Berloux dans le rôle du prêtre Jacques Hamel

C’est cette idéalisation quasi dévote de la réalisatrice pour Jacques Hamel qui, alors que le film est, dans sa grande majorité, un bon film, constitue le vrai point d’achoppement pour un public qui n’a pas envie de se voir proposer l’exaltation abusive – et donc parfaitement inutile – d’un homme dont rien que de savoir ce qu’il a subi suffit à le prendre en affection. Cela, en plus de desservir le film a porté préjudice à la réalisatrice puisque, dans ce qui est à la fois une surenchère d’hommage à ce prêtre, mais également dans la volonté de Cheyenne-Marie Carron de faire entendre ses propres convictions, elle a, de son propre aveu, ajouté une scène dans laquelle Jacques Hamel montre toute sa compréhension envers un jeune homosexuel catholique qui souffre de sa situation qu’il est obligé de cacher pour éviter le rejet, non seulement de ses parents (tout particulièrement de son père), mais de « l’église Catholique elle-même, ce qui inclut « la communauté des catholiques pratiquants) pour rendre hommage (encore une fois) à Lucas, un adolescent de 13 ans qui s’est suicidé, en janvier 2023, suite au harcèlement qui subissait à l’école à cause de son homosexualité. Cette scène, dans laquelle le prêtre Jacques Hamel se montre si tolérant (la réalisatrice usant même d’un mensonge – dans cette scène, faisant affirmer au prêtre que, nulle part, la bible ne condamne l’amour entre deux personnes du même sexe, alors qui suffit de lire des passages tels que Genèse 19.1-13, Lévitique 18.22 (pour « l’ancien testament »), Romains 1.26-27, 1 Corinthiens 6.9) Romains 1.26-27 (pour le « nouveau testament » pour constater le contraire) ayant valut le rejet de financement du présent film de la part d’un producteur de film chrétiens. Et si l’on ajoute à cela la scène reprenant le principe de ce passage du monumental roman de Victor Hugo qu’est « Les misérables », où Jean Valjean, alors qu’il a été accueilli, nourri et logé par un évêque, lui vol ses chandeliers (ici c’est une statuette de Marie), pour ajouter à la « sainteté » du prêtre Hamel, on peut en venir, comme ce fut notre cas, à avoir, intérieurement, un rire d’agacement de cette surenchère, d’autant que le reste du film, à l’inverse, fait preuve d’une belle sobriété, d’une certaine retenue, voire de pudeur – y compris par le jeu très juste de ses interprètes.

Oussem Kadri dans le rôle d’Adel, assassin de Jacques Hamel

Heureusement pour le film, la réalisatrice a eu la bonne idée de présenter son récit du drame en trois parties (la dernière pouvant être considérée comme une « morale » au lieu d’un épilogue) – chacune des deux parties du film nous faisant accompagner les principaux acteurs du drame -, cela lui permettant de proposer une narration bien plus structurée et beaucoup plus de profondeur dans la présentation de la vie d’Adel Kermiche et de son entourage – particulièrement celui de sa mère qui est, ici, presque aussi importante que son fils (d’ailleurs, elle a elle-même droit à des scènes où elle est seule protagoniste, ce qui n’est jamais le cas, dans la première partie du film, des gens qui gravitent autour du prêtre, ainsi qu’au tiers de l’affiche du film). Bien que, là encore, Cheyenne-Marie Charron prenne de très grandes libertés avec la réalité des vies des personnes concernées, c’est la complexité de l’existence, du quotidien, de la sociologie des croyances, qu’elles soient « spirituelles », politiques, sociales et sociétales, qui sont abordés dans cette seconde partie du film. Le mode de narration du film ne change pas de la première partie, avec, toujours, ces longs dialogues, à deux, trois ou quatre personnes et des déambulations dans les rues qui nous font suivre les pas des principaux protagonistes – essentiellement de dos lorsqu’il s’agit d’accompagner le prêtre mais presque toujours de face en ce qui concerne Adel, le jeune islamiste, avec caméra à l’épaule pour les déplacements mais caméra fixe pour les conversations, et, le tout, pratiquement toujours en plan serré avec occultation de profondeur de champ afin d’être au plus près possible des personnages (comme on le retrouve particulièrement dans le film de Audrey Diwan « L’événement », sorti en 2021, et qui est toujours très efficace pour l’effet recherché puisque, en plus de vous rendre au plus près des personnages, il vous « suffoque » de l’étroitesse de champ, permettant une meilleure connexion avec le protagoniste en ce qui concerne les émotions qui deviennent les votres) -, mais, n’étant plus dans l’hommage, comme c’est un peu trop le cas de la partie concernant le prêtre Jacques Hamel et qui lui donne son aspect documentaire, on peut mieux entrer dans l’action (donnant, enfin, un aspect « film de fiction ») puisqu’il n’y a plus à auréoler les protagonistes, mais juste à dénouer le fil du drame qui se joue, avec ses enjeux sociétaux, comme l’intégration des populations de cultures étrangères à celle du pays d’accueil et/ou de naissance mais non pas d’origine, les discours de haines – généralement basés sur des raccourcis de la réalité historique (mais pas toujours, hélas, et, dans ces cas-là, instrumentalisés, comme le cas, présenté dans le film, du « Pourquoi » les occidentaux sont allés tuer Mouammar kadhafi, alors dirigeant-dicateur de la Libye, dans ce perpétuel droit d’ingérence que s’octroie l’Occident bien qu’il soit contraire à la charte de l’ONU de 1946, et sous prétexte de « porter la démocratie », alors que, toujours, les véritables intérêts sont bassement économiques, géopolitiques, etc..) – pour pousser à la haine, le besoin de se trouver un idéal dans un « monde occidental » qui a vendu ses valeurs à l’ultra-libéralisme économique qui pousse à toujours plus d’individualisme en tronquant la nature de la Liberté pour du libéralisme égocentrique qui conduit à exiger tous les droits en faisant fi des devoirs, au bien encore de la place des religions et les questionnements des croyants de toutes confessions du fait du constat qu’ils peuvent faire du fossé abyssal qu’il y a entre les textes dits « sacrés » – avec les commandements qu’ils ordonnent – et la Vie réelle que l’esprit des Lumières a éclairée.

Majida Ghomari, dans le rôle de la mère d’Adel, le meurtrier

D’ailleurs, dans le discours de la pensée de la réalisatrice de « Que notre joie demeure », qu’elle transmet au travers des propos de ses personnages, il y a cette qualité de point de vue qui refuse la binarité dans le jugement, en s’appliquant à plutôt présenter les faits et de montrer les causes qui poussent le jeune Adel (le meurtrier du prêtre Jacques Hamel), en évitant scrupuleusement de le présenter comme « le Mal absolu », à la façon propagandiste hollywoodienne. Il est fort à parier que cette façon de faire de Cheyenne-Marie Carron soit l’expression de sa propre foi chrétienne d’extrême tolérance. Cependant, si cette tolérance – et même cette bienveillance – est, de manière générale, louable, elle tombe, malgré tout, dans l’excès par son « ultra œcuménisme » (qui était aussi celui de Jacques Hamel), la conduisant à étendre et inclure l’hindouisme aux « religions du Livre », en créant, par le personnage de la sœur aînée du jeune terroriste, une hindouiste pratiquante permettant de sortir un discours de « L’hindouisme religion de paix et de bienveillance » qui, lorsque l’on connaît véritablement cette religion agace tant la réalité de cette croyance est, dans son ensemble, aussi fanatique et intolérante que l’islam. Déjà, le discours qui consiste à affirmer que les religions prône la paix est factuellement faux et ne tient toujours que, soit à une ignorance réelle, tant des textes « sacrés » qu’aux dogmes des religions, soit à projeter ses propres aspirations profondes d’un « monde harmonieux » sur la réalité et de ce convaincre de leur véracité, soit, encore, de la pratique de la volontaire de la rhétorique pour faire accroire autrui à un mensonge total. Bien sûr, certains considérerons que ce que nous disons nous-même des religions est dû au fait que nous sommes absolument anti-religions (comme c’est le cas, soit dit en passant, de Daniel Berloux l’acteur qui interprète le prêtre Jacques Hamel, comme il l’avoue lui-même). Et ceux-ci auront raison, à ceci près que notre opposition aux croyances est basée sur les faits et l’étude approfondie des textes de toutes les religions majeures de l’Humanité. Par conséquent, nous ne pouvons valider les affirmations sur la Nature profondément pacifique des religions, puisqu’il est très facilement démontrable, par leurs textes, de prouver le contraire. Cela a pour effet, concernant « Que notre joie demeure », d’être profondément agacé par ce fameux œcuménisme absolu – l’œcuménisme étant, comme nous le rappelons depuis des années, « le parfait pendant du pacte de non agression entre Hitler et Staline ». Cela étant posé et clarifié, nous ne faisons pas l’économie de rappeler, également, que autre de nos principes est, tout en faisant notre travail de critique, de ne pas juger la qualité intrinsèque d’une œuvre en substituant celle-ci à une appréciation morale (donc idéologique), sachant, comme l’a si bien exprimé Oscar Wilde – et que nous étendons à l’ensemble des Arts – que « il n’existe pas d’œuvre moral ou immoral seulement des œuvres bien ou mal réalisées ».

Et, justement, ce nouveau film de Cheyenne-Marie Carron qu’est « Que notre joie demeure », s’il a bien quelques maladresses – que ce soit d’un point de vue technique ou scénaristique – n’en est pas moins un bon film qui mérite que l’on prenne un peu plus d’une heure quarante-cinq minutes de son temps à lui consacrer. Ce d’autant plus que, bien plus intéressant que la majorité des films français qui sortent depuis des années, il n’a bénéficié d’aucun soutient financier ni de diffusion, le CNC allant même jusqu’à refuser d’en prendre connaissance lors de sa présentation pour sa demande de subvention, ce que pratiquement tous les films qui en font la demande reçoivent (seul Canal+ ayant accepté de l’acheter pour le diffuser sur ses chaînes).

Christian Estevez

Fiche Technique

titre : « Que notre joie demeure »

Sortie France : 24 avril 2024 en salle | 1h 48min | Drame De

Réalisatrice : Cheyenne Carron

Principaux interprètes : Daniel Berloux, Oussem Kadri, Majida Ghomari

Durée : 1h48

Genre : Drame

Synopsis :

Le prêtre Jacques Hamel et Adel Kermiche, deux destins se sont croisés pour le pire. En juillet 2016, Adel Kermiche a tué le père Jacques dans son église. Le parcours chaotique, tourné vers la destruction a anéanti une vie tournée vers l’autre et le sacré. Pourtant de cet anéantissement a jaillit mondialement un témoignage de bonté, celui du père Jacques. Un prêtre, discret, dont la vie d’engagement était tournée vers son prochain. A Saint-Etienne du Rouvray, dans la ville frappée par cet attentat, musulmans et chrétiens ont renforcé leur dialogue dans le respect.

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