Un tribunal iranien a condamné à mort un célèbre rappeur iranien, emprisonné depuis plus d’un an et demi pour son soutien au mouvement de contestation de 2022 déclenché par la mort de Mahsa Amini, a rapporté, ce mercredi 24 avril, un média local. (Source : AFP).
La sentence de mort infligée ce mercredi 24 avril, par un tribunal iranien, au célèbre rappeur de 33 ans, Toomaj Salehi, a suscité l’alarme des experts de l’ONU. Le ministère français des Affaires étrangères a qualifié cette condamnation d' »inacceptable ». Toomaj Salehi, une figure majeure du mouvement de protestation consécutif au décès de Mahsa Amini en Iran, est accusé de « corruption sur Terre ».
« L’art doit être autorisé à critiquer, à provoquer, à repousser les limites dans toute société », ont réagit, ce jeudi 25 avril, dix experts indépendants des Nations Unies. Ils se disent « alarmés » par la condamnation à mort du célèbre rappeur iranien Toomaj Salehi, annoncée la veille. Cet artiste de 33 ans est emprisonné depuis octobre 2022 pour son soutien au mouvement de contestation déclenché après la mort de Mahsa Amini.
Sa condamnation à la peine capitale a suscité également le mécontentement de la France, premier pays occidental à réagir. Paris a jugé cette peine « inacceptable », ce jeudi : « La France condamne avec vigueur cette décision, qui s’ajoute aux nombreuses autres condamnations à mort et exécutions injustifiables liées aux manifestations de l’automne 2022 en Iran », a précisé le Quai d’Orsay dans une déclaration. Ces condamnations et les « nombreuses autres violations graves et inacceptables des droits et libertés fondamentales commises par les autorités iraniennes, ne peuvent tenir lieu de réponse aux aspirations légitimes de liberté du peuple iranien », ajoute le ministère des Affaires étrangères.
« Aussi dures que soient les chansons de M. Salehi à l’égard du gouvernement, elles sont une manifestation de la liberté artistique et des droits culturels », ont indiqué les experts onusiens dans leur communiqué. Le texte a été signé par cinq Rapporteurs spéciaux et les cinq membres du Groupe de travail sur la détention arbitraire. Ces experts sont nommés par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, mais ne s’expriment pas au nom de l’organisation.
Ils se disent « alarmés par l’imposition de la peine de mort et les mauvais traitements présumés à l’encontre de Toomaj Salehi, qui semblent uniquement liés à l’exercice de son droit à la liberté d’expression artistique et à la créativité ». En outre, ont-ils ajouté, « les exécutions à l’issue de procès inéquitables constituent une privation arbitraire de la vie ».
En avril 2023, le Centre pour les droits humains en Iran (CHRI), basé à New York, avait déjà tiré la sonnette d’alarme sur l’état de santé du rappeur iranien, qui avait besoin selon lui d’un traitement médical « d’urgence ». Le rappeur avait été « sévèrement torturé » les premiers jours suivant son arrestation : son œil gauche avait été sérieusement blessé par des coups à la tête et sa cheville droite avait été cassée, avait confié une source – non citée pour des questions de sécurité – au CHRI.
Des artistes, des activistes et des journalistes détenus pour « propagande contre l’État »
« La critique de la politique gouvernementale, y compris par le biais de l’expression artistique, est protégée par le droit à la liberté d’expression et le droit de participer à la vie culturelle », ont aussi fait valoir, ce jeudi 25 avril, les experts indépendants de l’ONU. Ils indiquent avoir également reçu « des allégations selon lesquelles il est de plus en plus fréquent que des artistes, des activistes et des journalistes soient arrêtés et détenus pour des accusations telles que la ‘publication de fausses nouvelles’ ou ‘propagande contre l’État' ».
Mercredi, un média local iranien, citant l’avocat du rappeur, a rapporté que le tribunal révolutionnaire d’Ispahan l’avait condamné « à la peine de mort pour corruption sur Terre ». Le pouvoir judiciaire iranien a confirmé jeudi cette condamnation à mort du célèbre rappeur, ajoutant qu’il pourrait bénéficier d’une réduction de peine en raison de sa coopération avec les autorités, ont rapporté les médias d’État iraniens.
Toomaj Salehi dispose de 20 jours pour faire appel de sa condamnation devant la Cour Suprême. En cas de confirmation de sa sentence, la commission d’amnistie judiciaire étudiera la possibilité de la commuer, a précisé le service de presse du pouvoir judiciaire iranien.
Ce rappeur populaire de 33 ans, arrêté en octobre 2022, avait soutenu, via ses chansons, et sur les réseaux sociaux, le mouvement de contestation déclenché après la mort, le 16 septembre 2022, de Mahsa Amini, une jeune Kurde iranienne détenue par la police des mœurs, qui lui reprochait d’avoir enfreint le code vestimentaire strict pour les femmes.
Pour la dessinatrice franco-iranienne Bahareh Akrami, alias « Baboo », interrogée par « France 24 », Toomaj Salehi est un artiste engagé, « à la notoriété équivalente à Orelsan ou Jul en France », et qui a toujours dénoncé l’oppression dans son pays. « Il est descendu dans la rue après la mort de Mahsa Amini aux côtés des manifestants […]. Il a publié sur ses réseaux sociaux où il est très suivi des vidéos pour inciter la population à manifester, toujours de façon pacifique. Il a vraiment donné de la force et du courage à tout un peuple », estime la jeune femme, qui milite pour la libération du musicien au sein de « Azadi4iran ».
Ce collectif appelle notamment à manifester aux côtés d' »Iran Justice », une association regroupant des juristes et des avocats qui recueillent les preuves des exactions du régime iranien, pour dénoncer « la condamnation à mort du rappeur dissident » et « l’utilisation de la peine de mort comme outil de répression en Iran ».
Reçue par « France 24 » en 2023, l’autrice de BD et cinéaste, Marjane Satrapi, disait quant à elle de l’artiste qu’il « est le seul rappeur iranien qui parle des classes ouvrières et des défavorisés. Ses textes sont politiques et très beaux. C’est un poète dont les mots n’appellent pas à la violence mais ils appellent au réveil. » Pour l’auteure de « Persepolis », « il est devenu un symbole pour tout un pays. La libération de Toomaj voudrait dire la libération de la parole en Iran. »
L’Iran pratique la peine capitale à grande échelle. « Amnesty international » a recensé 853 exécutions en 2023, en augmentation de 48 % par rapport à 2022 et de 172 % par rapport à 2021.
Joseph Kouamé