Le philosophe grec Platon a influencé tous les domaines de la philosophie occidentale, y compris celui de la philosophie naturelle à l’origine de la science moderne, de Copernic à Heisenberg. (Source : Futura-Science).
Bien que Platon ai eu une immense influence sur la philosophie et les sciences modernes en général, notre connaissance sur lui est toutefois limitée et c’est donc des découvertes étonnantes sur sa biographie qui viennent d’être faites, en utilisant les rayons X pour décrypter les fameux rouleaux d’Herculanum et faire parler un texte autrefois perdu du philosophe épicurien Philodème de Gadara.
La nouvelle a commencé à se répandre sur les réseaux sociaux le 24 avril 2024 avec un article de l’ « Agenzia Nazionale Stampa Associata », plus connue sous le sigle « Ansa », la principale agence de presse italienne. On en trouve confirmation dans un communiqué du Conseil national de la recherche (en italien, (« Consiglio Nazionale delle Ricerche ») ou CNR, l’organisme public italien équivalant au CNRS français.
Tout avait commencé il y a presque 10 ans, quand des physiciens avaient entrepris de réaliser l’impossible : décrypter les rouleaux de papyrus quasiment carbonisés dont les longueurs sont comprises entre 3 et 15 mètres, retrouvés à partir de 1752 dans l’une des villas d’Herculanum.
Cette cité a été préservée pour les générations futures en même temps que celle de Pompéi en 79 après J.-C. suite à l’éruption du Vésuve. Contrairement à Pompéi qui a été ensevelie sous des cendres, Herculanum l’a été par des coulées de boue dont les températures devaient avoisiner les 300 à 330 °C. Les papyrus ont donc été largement carbonisés mais par la suite, la boue les a protégés de l’action de l’oxygène et de l’humidité, ce qui n’a pas été le cas des écrits qui se trouvaient à Pompéi, détruits par les cendres chaudes.
Les spécialistes ont rapidement essayé de lire ces papyrus, mais l’entreprise s’est révélée très souvent délicate car bien des tentatives et des méthodes utilisées pour les dérouler conduisaient à la dégradation, quand ce n’est pas à la destruction pure et simple des papyrus.
Nous savons tout de même aujourd’hui que ces papyrus faisaient partie de la bibliothèque de Lucius Calpurnius Piso Caesoninus, encore appelé Pison. En plus d’être le beau-père de Jules César et un politicien influant dans la Rome antique, Pison était un protecteur des arts et de la philosophie. Sa bibliothèque, la seule de l’Antiquité qui nous soit parvenue complète, contenait notamment des textes rédigés en grec exposant les idées de Philodème de Gadara, un philosophe épicurien d’origine syrienne, mais très hellénisé. Il a en effet étudié à Athènes auprès de Zénon de Sidon, alors à la tête de l’école épicurienne avant notre ère. On avait fini par savoir que les textes de Philodème contenaient des fragments d’œuvres perdues appartenant au corpus de la philosophie stoïcienne, mais aussi des extraits des œuvres d’Aristote et de Théophraste.
Malheureusement, la majorité des rouleaux pas complètement carbonisés restaient impossibles à décrypter mais cela n’a pas découragé les papyrologues, philologues, historiens et physiciens du XXIe siècle qui disposent d’outils dont ne pouvaient pas rêver leurs collègues d’il y a plus d’un siècle. Depuis 2015 donc, il a été notamment entrepris d’abord de scanner les rouleaux aux rayons X selon une méthode similaire à celle utilisée en médecine, dans le cas présent par la tomographie X en contraste de phase (XPCT). Plus récemment, c’est l’IA qui est entrée dans la danse pour aider à reconstituer les textes inscrits sur les papyrus en analysant les données prises en rayons X et les premiers résultats vraiment spectaculaires sont là.
En effet, le CNR et l’Ansa font maintenant savoir que plus de 1 000 mots, correspondant à 30 % d’un texte de Philodème de Gadara ont été décryptés et pas n’importe lequel car c’est celui consacré à l’Histoire de l’Académie de Platon. L’annonce a été faite initialement à Naples, à la Bibliothèque nationale Vittorio Emanuele III dans le cadre du projet « GreekSchools » qui a reçu un financement « ERC » (European Research Council). Il a débuté en 2021 et durera cinq ans et huit mois et il est coordonné par Graziano Ranocchia de l’université de Pise en collaboration avec l’Institut des sciences du patrimoine culturel (Cnr-Ispc) et l’Institut de linguistique informatique Antonio Zampolli (Cnr-Ilc) du Conseil national de recherches, et la Bibliothèque nationale de Naples où ce papyrus est conservé.
Rappelons que bien des textes, ou fragments de textes, datant de l’Antiquité gréco-romaine nous sont parvenus. Ils sont disponibles en langue grecque et avec leurs traductions comme jamais grâce au Web, qui constitue pour nous un outil qui aurait rendu profondément jaloux les lettrés, philosophes et savants de la bibliothèque d’Alexandrie s’ils en avaient connu l’existence. Nous pouvons ainsi lire « le Banquet » de Platon, des fragments de l’œuvre d’Archytas de Tarente ou encore les fameux écrits en mathématique, mécanique et astronomie d’Archimède.
Par contre, nous savons que de nombreux textes ne sont pas passés à la postérité, les traités d’Héraclite et Démocrite par exemple ou bien encore la majorité des tragédies de Sophocle (seulement sept sur plus d’une centaine nous sont parvenus). On ne sait pas très bien pourquoi mais on peut suspecter que, parfois, leur contenu n’était pas du goût des autorités chrétiennes et musulmanes du début de notre ère.
Le décryptage des papyrus de la bibliothèque de Pison, surtout les textes d’un épicurien comme Philodème de Gadara, pouvait donc peut-être alors révéler des informations fascinantes, par exemple dans la droite ligne des idées de Michel Serres exposées dans son fameux ouvrage « La Naissance de la physique dans le texte de Lucrèce ».
Des précisions sur la localisation du tombeau de Platon
C’est bien ce qui vient de se produire. Le décryptage du texte de Philodème de Gadara vient vraisemblablement de nous en apprendre plus sur la mort de Platon dont on pense qu’elle est survenue en 348-347 avant l’ère commune, à Athènes, alors que lui-même y était né en 428-427 de l’ère commune.
Selon l’article de l’Ansa, alors que Platon sentait sa dernière heure arriver, il aurait demandé qu’une esclave originaire de Thrace lui joue de la flûte. Les auteurs grecs et romains considéraient les Thraces (issus en gros de l’actuelle Bulgarie) comme des barbares aux mœurs primitives, mais on sait que la musique et la poésie occupaient une place importante dans leur culture.
Toujours est-il que quelques heures avant sa mort il ne put s’empêcher de critiquer la musicienne « barbare » pour son mauvais sens du rythme, sous les yeux d’un invité chaldéen venu de Mésopotamie. Ceux qui connaissent les livres III et VII de « La République » savent que cette histoire n’est pas anodine. Dans son célèbre ouvrage, Platon faisait de la musique une composante importante de la formation d’un philosophe, mais pas n’importe quelle musique.
On apprend aussi, pour la première fois, où situer avec précision la sépulture de Platon. On savait que c’était quelque part dans le terrain possédé par Platon et où se trouvait son école philosophique, c’est-à-dire l’Académie d’Athènes. On sait maintenant que c’était dans le jardin qui lui était réservé, près d’un petit Mouseîon (semblable à un sacellum), un sanctuaire consacré aux Muses, le plus célèbre étant celui d’Alexandrie qui abritait la toute aussi célèbre Bibliothèque d’Alexandrie.
Le papyrus intitulé « Histoire de l’Académie » contenait une autre gemme. Selon Philodème de Gadara, Platon fut vendu comme esclave sur l’île d’Égine peut-être déjà en 404 avant l’ère commune., lorsque les Spartiates conquirent l’île ou, alternativement, en – 399 avant, immédiatement après la mort de Socrate, alors que jusqu’à présent les textes dont on disposait laissaient penser que le philosophe avait été vendu comme esclave en 387 avant l’ère commune, lors de son séjour en Sicile à la cour du tyran Denys Ier de Syracuse.
L’Académie de Platon, la matrice de la pensée et de la science occidentales
Il y aurait beaucoup à dire sur Platon et son Académie pour ceux qui ne le connaissent pas, car, avec Aristote, son élève, il a profondément marqué la pensée et la science occidentales. Comme le montre très bien l’ouvrage de Gerald Holton, L’imagination scientifique, les astronomes Copernic et Kepler étaient profondément influencés par la philosophie platonicienne quand ils ont fait leurs travaux révolutionnaires (on peut citer aussi les relations que Galilée et Newton entretenaient avec la philosophie platonicienne). Alfred North Whitehead affirmait d’ailleurs, au début du XXe siècle, que toute la pensée occidentale ne constituait en réalité qu’une série d’annotations à l’œuvre du fondateur de l’Académie.
L’élaboration d’une cosmogonie (du grec kósmos, « monde » et gónos «engendrer ») est un besoin primordial de la psyché humaine qui, depuis la nuit des temps, a donné lieu à des récits mythologiques. En Occident, ce sont les philosophes grecs, plus précisément les présocratiques, qui ont tenté les premiers d’aller au-delà du mythe pour établir dans le même mouvement une cosmologie rationnelle, inspirée de l’observation et de l’expérience même s’il ne s’agissait pas encore de science au sens moderne acquis depuis Galilée, Descartes et Newton. Le « Timée » de Platon en sera l’aboutissement, toujours selon Alfred North Whitehead.
Remarquablement, dans le premier chapitre de son opus largement autobiographique, « La Partie et le Tout », Heisenberg explique que de 1919 à 1920, son esprit nourri de mathématique, de philosophie et de musique (un cursus que n’aurait pas renié Platon puisqu’il en est question dans « La République » et sans doute pas non plus Archytas de Tarente) allait être fasciné par les idées exposées dans le « Timée » de Platon, idées qui allaient contribuer à le préparer à faire ses grandes découvertes au cours des années 1920, c’est-à-dire rien de moins que celle de la mécanique quantique dans sa version matricielle. Selon elles et leurs avatars modernes, les atomes ne devaient pas être des objets que l’on peut visualiser dans l’espace et dans le temps mais devaient être des structures des phénomènes observables dont la substance et la beauté harmonique étaient de nature mathématique.
Ainsi, dans le « Timée », Platon expose une sorte de « théorie des particules élémentaires du cosmos » en utilisant des considérations sur les polyèdres réguliers. Il y a cette perception que le monde doit être construit non à base d’objets matériels mais de formes mathématiques pures et élégantes. Les conceptions de Platon pousseront plus tard Heisenberg à mettre en avant l’idée que les particules élémentaires sont avant tout des symétries dans les équations de la théorie quantique des champs.
Le modèle standard en physique des particules a donné une confirmation spectaculaire de ces idées. À travers la théorie des groupes, les symétries y acquièrent une importance et une puissance extrêmes. Bien des mathématiciens actuels qui font aussi œuvre de physiciens se réclament des idées de Platon, comme Roger Penrose et Alain Connes.