Sorties cinéma – France : interview de Sabrina Nouchi, réalisatrice de « Ça arrive » – « Pour que les gens écoutent il faut que nous soyons justes ».

Aujourd’hui, mercredi 27 novembre, sors, dans les salles obscures françaises, le nouveau – et très bon – film de la prolifique réalisatrice française, Sabrina Nouchi, « Ça arrive », qui traite des viols et violences sexuelles.

En attendant de vous présenter notre critique, très favorable, de ce film, nous vous proposons, ici, l’interview que nous a accordée Sabrina Nouchi, il y a quelques jours, inversant, après réflexion, notre ordre premier de publication, car ayant jugé qu’une première rencontre avec la réalisatrice ne peut être plus encourageant pour, non seulement, lire la critique que nous avons à vous proposer, mais, surtout, pour comprendre la démarche dans l’engagement de de Sabrina Nouchi et de Catherine Sorrola, et le sens de celui-ci, qui est d’une totale honnêteté vis à vis de la Réalité, et non pas idéologique, que le sont, hélas, pratiquement tous les films sur ce sujet.

C’est ce jour, mercredi 27 novembre, que sort le 7ème long métrage de Sabrina Nouchi, véritable cheffe de fil du cinéma indépendant français (dont on n’a pas de surprise, du coup, qu’elle fasse référence à l’un des plus grands cinéastes indépendants de l’histoire du cinéma, l’états-unien john cassavetes), mais également actrice, scénariste, monteuse et productrice.

Traitant des viols et agressions sexuelles, « Ça arrive » n’est pas, comme on pourrait le penser, une vision fataliste de ces drames qui, comme le montre la réalisatrice, n’est pas subit par une catégorie spécifique d’individus, victimes d’une autre catégorie, tout aussi définie par son sexe ou son origine ethnique, mais un rappel que, justement, absolument personne n’est à l’abri et que, de ce fait, tout le monde est concerné par ce sujet.

Christian Estevez : Sabrina Nouchi, bonjour. Tout d’abord, merci de prendre ce temps pour nous accorder cette interview.
Sabrina Nouchi : Bonjour, merci à vous de me recevoir.


C.E. : Ce mercredi 27 novembre sort votre nouveau film « Ça arrive », qui était présent au festival de Cannes de cette année. C’est votre 7ème ou 6ème long métrage?
S.N. : Alors, il était présent en projection au marché du film, mais n’avait pas été sélectionné. C’est mon 7eme long métrage.


C.E. : Vous êtes une réalisatrice prolifique.
S.N. : J’essaie. (clin d’œil) Quand j’ai une idée j’ai envie de la tourner rapidement.


C.E. : C’est le cas de « Ça arrive », donc. Comment vous est venu le projet de ce film?
S.N.: J’ai toujours eu envie de parler de ce sujet, à l’époque ça n’était pas vendeur d’après les producteurs, aujourd’hui je me produis seule, donc je suis libre. J’étais en cours car j’ai monté une école d’acting qui s’appelle « la fabrique de l’acteur », et j’ai vu une improvisation, qui m’a inspiré ce film. Ensuite nous l’avons écris avec ma coscénariste Catherine Sorolla en 4 jours et j’ai tourné dans la foulée.


C.E. : Combien de temps s’est écoulé entre cette « révélation » que c’était le moment, avec l’improvisation de votre élève, et celui où vous avez construit le canevas de votre film?
Et, d’ailleurs, comment procédez-vous à l’écriture d’un scénario? Vous mettez d’abord par écrit des passages qui vous viennent à l’esprit ou vous commencez à écrire et faites advenir la vie et les événements de l’histoire au fur et à mesure?
S.N. : Cette impro a eu lieu en décembre-janvier il me semble, et on a écrit en février avec Catherine. C’était assez simple, on avait fait une liste des histoires variées qu’on aimerait mettre en lumière, il y en avait trop, donc a dû choisir. Mais on a gardé les autres pour une campagne de sensibilisation qui est en ligne sur « tiktok » et relayer sur « Instagram ». Pour la méthode d’écriture en général, ça dépend, des fois j’écris tout d’un coup sans réfléchir, ça fuse. Et parfois je procède d’abord par un séquencier… je n’ai pas de règles.


C.E. : « Je n’ai pas de règle ». Cela semble être votre devise de professionnelle du cinéma, pour le bien de celui-ci, car vous ne suivez pas le parcours dicté par « les pros » du métier, qui restent les mêmes règles depuis des décennies, comme si le cinéma devait être fait d’une manière écrite dans le marbre.
D’où vous vient cette volonté de « ne pas avoir de règle »? De votre nature « d’artiste intégrale et intègre »? D’un trait de caractère naturel qui, dans le cas du cinéma s’avère bénéfique?
S.N. : Je pense que je suis comme ça depuis l’enfance, j’ai toujours eu du mal à suivre des règles si elles n’ont pas de sens pour moi. Je peux suivre une règle si je la comprends mais sinon c’est trop difficile, et comme je ne les comprends pas toutes je suis souvent en marge. Le cadre je me le pose moi même, parce que au delà de la règle il faut quand même qu’il y ait un cadre sinon on part à la dérive. Donc, dans mon cinéma, je me cadre à ma manière et j’écris mes propres règles puisque ça fait 13 ans pour ma part – depuis que j’ai 22 ans – et que j’ai commencé à réaliser, que j’entends les mêmes personnes me dire, « Ça ou ça, c’est pas possible », « Le public ne veut pas voir ça », « Le public ne va pas en salle s’il n’y a pas de casting connus », etc… sauf qu’il y a juste à regarder les box offices. Ce que j’adore faire! Et tout ça est faux. La seule vérité de ce milieu, c’est qu’il n’y en a pas! Personne ne sait ce qui va marcher ou pas, personne n’a la vérité absolue, mais tous adorent croire qu’ils la possèdent. Mais quand on voit leur « stats »… elles parlent d’elles mêmes


C.E. : Cela fait de vous, à mes yeux, une véritable « réalisatrice indépendante », qualificatif que l’on donne trop facilement à des réalisateurs qui, en fait, suivent bien les règles, mais ne font pas du cinéma grand public. Peut-on dire (comme, personnellement je le pense) que vous êtes la « cheffe de fil » du cinéma indépendant français, ou, au moins, « la plus connue »?
S.N. : Ah non je ne pense pas, enfin j’en sais rien. Mais ça serait trop présomptueux de penser ça. Moi je suis juste une fille qui adore le cinéma, qui adore faire des films, les films que j’ai envie de faire, et qui ne respecte un supérieur que s’il m’est réellement supérieur! Si Cassavettes était encore des nôtres et que j’avais la chance de le rencontrer je m’assoirai sagement et je l’écouterai pendant des heures et je noterai tous ses conseils. Si Meryl Streep me parlait acting je ferai de même. Mais quand des producteurs me parlent business et ne sont pas cinéphile je pars en courant… Et la plupart du temps, dans ce milieu, on parle avec des personnes issues d’école de commerce. J’ai même entendu dire des gens « ah non moi je suis pas cinéphile, j’aime juste close des deals » je n’ai pas d’attrait pour ces gens là. Je ne peux pas les écouter, on ne parle pas la même langue.


C.E. : Comme c’est logique et même légitime, votre réaction vis à vis des « professionnels » de ce genre et du cinéma en général!
Pour revenir à « Ça arrive », vous indiquiez, il y a quelques minutes, que vous avez trié les scènes. Comment s’est faite la sélection des histoires à raconter et celles à garder pour la sensibilisation par les réseaux sociaux?
S.N. : Nous avons trié très difficilement car aucune histoire était moins importante qu’une autre. Donc on a dû s’arranger avec nous même en se disant que ce qu’on ne met pas là sera dans la campagne de sensibilisation. Nous avons découper le film comme en montage, et avons choisi de mettre telle ou telle histoire en fonction de ce qui nous paraissait le plus intéressant pour la montée crescendo, les conflits scénaristiques, les cas de figures les plus variés et qu’il y ait le maximum de diversité.


C.E. : Comment, durant vos quatre jours d’écriture, avez-vous fonctionné, vous et Catherine Sorolla? Vous travaillez ensemble depuis déjà pas mal d’années. Vous avez une méthode bien rodée ou, comme pour le reste, vous « laissez venir à vous » la façon d’écrire?
S.N. : On a procédé à notre rythme, c’est à dire aucun réveil, on parlait beaucoup et vers 17h on se mettait à écrire jusqu’à 1h du matin. On laissait venir nos idées en brainstorming et on posait les caractères des personnages principaux, ensuite une fois ça établi, les histoires choisies, il n’y avait plus qu’à les écrire.


C.E. : Vous écriviez toutes les histoires à deux ou bien il y en a que vous avez chacune écrites? Et pour le fil conducteur, la continuité scénaristique, comment l’avez vous établie?
S.N. : On s’est divisé les histoires. Chacune a pris celle qui l’inspirait le plus. Le fil conducteur, c’était le viol. Les personnages servaient de « prétexte » pour mettre en lumière toutes ces agressions, et les enquêteurs avait des histoires propres sous-jacentes, mais ça n’était pas sur les personnages que nous voulions mettre le focus. C’était vraiment sur le viol et les violences sexuelles.


C.E. : Il y a t-il eu des scènes plus difficiles à écrire, aussi bien d’un point de vue « technique » qu’émotionnel?
S.N. : C’est relativement simple, nous n’avons pas rencontré d’obstacles, ce film était fluide pour nous. Et émotionnellement nous n’étions dans aucune confusion, c’était un travail, et pour le faire au mieux, on a tenté de s’extraire de notre émotionnel pour ne pas être influencé par nos opinions ou jugements propres, afin que chaque personnage soit écrit sans parti pris, et le plus objectivement possible. On voulait que le film soit réaliste, interroge, et pousse à une grande réflexion, pour cela nous ne voulions pas influencer le public, nous voulions qu’il soit à la place de tous sans interférer avec notre avis ou nos opinions.


C.E. : Ce refus de parti pris et de volonté d’être le plus réaliste possible est, je dirais, ce qui est le plus marquant, dans le bon sens du terme, en ce qui concerne votre film. Pour ce genre de sujet, certaines personnes interpellées par le sujet, par la « cause », sont généralement confrontées à un film partisan au sens « binaire », avec les « méchants » qui sont toujours du même sexe et/ou de la même ethnie, et, les « gentilles victimes », aussi du même sexe et mêmes origines et mêmes couleurs de peau. Pensez-vous que cette présentation de ce qui est bien la réalité de la vie et de ces/ses tragédies, ne vous soit pas fortement reprochée à la sortie du film? Et savez-vous déjà ce que vous allez répondre à ces idéologues?
S.N. : On me le reproche déjà. Et je leur répondrai toujours la même chose  : Quand une cause est portée par des extrémistes, elle perd son poids, sa valeur, et tombe dans l’oubli et dans la lassitude. Pour que les gens écoutent, et c’est juste mon avis, mais je ne défend que mes avis propres, il faut, à mon sens, que nous soyons justes.


C.E. : C’est tout à votre honneur et, cela ne me surprend pas au vu de l’ensemble de votre filmographie.
Une dernière question – car, bien qu’il y en aurait mille autres pour ce film si intéressant, d’une réalisatrice qui l’est tout autant, et de ses collaborateurs qui sont à son image, il faut savoir laisser une part aux autres qui auront le plaisir de vous interviewer – pouvez-vous nous dire, en quelques phrases, comment vous avez constitué votre équipe artistique (bien sûr) – dans laquelle on retrouve plusieurs interprètes de vos précédents films, dont Milo Chiarini, que, personnellement, je trouve toujours très bon, qui a une vraie présence à l’écran et même un vrai charisme) -, mais aussi, celle dont on ne parle presque jamais, qui est l’équipe technique?
S.N. : Je tourne avec cette équipe technique depuis mon deuxième film. Et certains se sont ajoutés après. C’est ma famille du cinéma. Ils sont passionnés, ne comptent pas les heures et sont au service du film. Je les adore. Les acteurs c’est aussi ma famille, des amis proches que je respecte en tant qu’acteur, et mes élèves de « la fabrique de l’acteur » qui sont des acteurs passionnés dévoués et qui ont même acheté leur sandwich sur le tournage car nous n’avions pas beaucoup de budget! Je voulais les mettre en lumière ! Ils le méritent !


C.E. : Oui, ils le méritent vraiment! Et vous, vous méritez, avec eux. Et que ce film connaisse, non pas « un beau succès commercial » (même si on le souhaite tout de même, afin que vous puissiez toujours produire des œuvres cinématographiques de qualité), mais une reconnaissance du public au-delà des cinéphiles, afin que son message puisse s’étendre le plus possible et contribuer à la prise de conscience des drames qui se jouent, bien sûr, concernant les victimes de viols et de violences sexuelles, mais aussi de ces gens qui consacrent leurs vies à autrui, dans les commissariats, qui n’ont rien à voir avec des « fachos » comme les qualifient les extrémistes.
Encore merci pour cette interview, pour ces réponses, pour tout ce temps que vous avez eu la patience de nous consacrer. Et on se donne rendez-vous après la cérémonie des Césars, avec, espérons-le, au moins une récompense entre les mains.
S.N. : Merci beaucoup Christian! Au plaisir !

Interview réalisé le dimanche 24 novembre 2024

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