Danse : entrevue avec la danseuse-chorégraphe Dana Mussa pour la tournée de son ballet « Carmen » dans les pays Baltes

Dana Mussa, danseuse, chorégraphe, mais aussi vidéaste et mannequin originaire du Kazakhstan, est la créatrice d’une nouvelle version ballet de « Carmen ». Nous l’avons rencontré à Paris alors qu’approchait son départ pour des représentations de son ballet en Lettonie et en Lituanie, pour une interview sur sa version de l’œuvre, mais aussi sur la place et les droits des femmes.

Dana Mussa, bien que (re)connue comme danseuse et chorégraphe, est une artiste pluridisciplinaire, touchant également au cinéma, à la vidéo, la photo, et à encore d’autres domaines artistiques, originaire du Kazakhstan, le pays des amazones, de la grande reine Tomiris (qui vainquit le grand roi Cyrus II, fondateur de l’empire perse). Pas étonnant que, pour sa nouvelle création chorégraphique, elle ai choisi une grande figure romanesque féminine – et même « féministe » -, à savoir : Carmen.

A l’occasion de notre entrevue avant son départ pour deux dates dans les pays baltes (Lettonie et Lituanie), c’est avec sa passion et même son âme, pour ce personnage littéraire créé par Prosper Mérimée et immortalisé, ensuite, auprès du grand public mondial, par Bizet et sa version d’opéra que Dana nous a parler de son travail (bien sûr), mais aussi des droits des femmes, pour lesquelles elle est très engagée.

Christian Estevez : Dana, bonjour.

Dana Mussa : Bonjour

C.E. : Première chose. Si vous pouvez un petit peu vous vous présenter, qui est Dana Musa en fait ?

D. M. : Dana Musa c’est une danseuse à la base et chorégraphe. Assez tôt – depuis mon enfance en fait – j’ai commencé à imaginer mes tableaux de danse. Et ensuite, Je suis passé au cinéma parce que l’écran m’intéressait beaucoup, pas que la scène. J’ai suivi une formation cinéma au Kazakhstan et en France avec l’idée de faire des films de danse, vidéos, photos de danse. Limage m’intéresse beaucoup. Je suis donc une artiste polyvalente. Je travaille dans des plusieurs sphères : danse, cinéma, photos, vidéos, mise en scène, etc…

C.E. : Alors justement, chorégraphe, et là on se voit pour votre…. On appelle un ballet, à proprement parlé ?

D.M. : Oui c’est un ballet.

C.E. : Comment avez-vous eu l’idée de reprendre le personnage légendaire et international de Carmen ?

D.M. : Oui, Carmen c’est un spectacle très connu. Quand j’ai décidé d’en réaliser une adaptation il y avait, déjà de nombreuses autres adaptations très célèbres. Maintenant il y a dix mille versions, presque tous les chorégraphies ont toujours eu ce fantasmes de présenter leur propre version parce que, d’abord, il y a un personnage Carmen qui est très attirant, très intéressant, ensuite il y a une musique de George Bizet qui a créé l’opéra de Carmen – parce qu’il ne faut pas oublier que c’est d’abord un opéra – et ensuite il y a des compositeurs qui l’ont réadapté. En Russie, par exemple, il y a eu Rodion Chtchedrine, le le mari de Maïa Plissetskaïa, qui a fait une version ballet parce que l’opéra dure trois heures. Nous on ne danse pas autant donc lui il a fait version de quarante-cinq minutes à peu près. et voilà du coup moi depuis toute petite, pareil, j’ai toujours imaginé ma Carmen, quand je voyais les Carmen déjà existantes ça m’a toujours intéressé ,excité, mais j’avais pas envie de danser la Carmen de quelqu’un d’autre. J’ai voulu danser ma Carmen, J’imaginais ma Carmen et ça fait 10-15 ans que l’imagine. Ça date pas de hier. En tout cas dans ma tête ma Carmen, ça existe depuis longtemps et enfin cette année, exactement le 4 janvier 2024, c’était le premier jour de création, quand j’ai oser de dire « Voilà je prends la musique de grand et génial Georges Bizet et j’essaie de me l’approprier avec mes gestes, mes mouvements et voir ce que ça donne. Je commence avec une seule danseuse et aujourd’hui on est 6.

C.E. : Et en quoi consiste votre propre version de Carmen ?

D.M. : Alors je ne vais pas tout vous raconter, mais quand même je peux dire que la particularité de mon projet c’est qu’il y a quatre Carmen. Donc déjà quatre danseuses qui incarnent quatre Carmen parce que moi, à la base, je travaille avec les archétypes, différents archétypes féminins dans mon concept de danse et de mon ballet. Ça m’ a toujours intéressé de travailler avec différentes facettes d’une femme parce que je suis persuadée que la femme – enfin l’homme aussi d’ailleurs -, a toujours différentes facettes. On peut appeler ça les facettes, visages, masques, ou enfin juste par archétypes.. personnages etc. En tout cas on peut être tous différents selon la situation, selon la période de la vie, selon le rapport qu’on a avec d’autres personnes. Et donc, dans ma Carmen, voilà, j’ai quatre incarnations d’ une Carmen. On a pas quatre Carmen mais plutôt une Carmen mais à quatre facettes. Mais on a un seul rôle masculin, José. Je n’ai que José bien que, dans la version classique de Carmen, si vous souvenez, c’est un triangle amoureux, il y a José, le toréador et Carmen. Chez moi, c’est un peu différent, il y a que Jose, il y a qu’un homme, et le motif c’est un peu différent, c’est un peu l’homme qui est entouré de femmes, qui perd ses repères parce qu’il pense qu’il y a quatre femmes. différentes, il construit les relations avec quatre femmes différentes et il très content, il est content d’être « polygame », mais, à la fin, il découvre que ce n’était qu’une seule femme qui a joué avec lui. Parce qu’il ne faut pas oublier que Carmen c’est une femme qui aime prendre des risques, qui joue, qui provoque. Une provocatrice dans le bon sens de mot. C’est une féministe et elle n’a pas peur des hommes et c’est pas une femme qui obéit aux hommes.

A la fin, José, pareil, il tue Carmen. Enfin en tuant une, il tue toutes les Carmen. Mais, parce que moi-même je suis féministe, je voulais pas que ma Carmen meure à la fin. Et du coup, à la fin, on comprend pas trop si elle est tout à fait morte ou pas. Parce que j’ai un autre personnage, c’est le personnage de déesse du Destin, un espèce de personnage invisible qui guide un peu José et Carmen. Et c’est grâce à elle que, peut-être, Carmen va survivre à la fin. Je dis bien « peut-être ». Pour le savoir il faut venir voir le spectacle.

C.E. : En fait vous avez décidé ou pas de la fin qu’il faut comprendre, ou vous la laissez libre d’interprétation et d’imagination au spectateur ?

D.M. : Alors, libre à chaque spectateur de comprendre ce qui se passe à la fin. Dans ma tête c’est clair, j’ai mon interprétation, ma compréhension mais je ne l’impose pas au spectateur. Je le laisse décider s’il veut que Carmen meurt parce qu’elle doit payer pour ce qu’elle a fait. Moi, déjà, je pense que, tuer une femme, c’est pas bien de manière générale. Donc j’ai mon interprétation mais je ne vous le dis pas, comme ça je vous laisse décider.

C.E. : D’accord. Et donc, vous vous êtes basée sur la Carmen de Bizet, vous n’avez pas été vers la Carmen originale de l’histoire de la littérature écrite par Prospère Mérimée, Carmen qui est une longue nouvelle, presque un mini roman de Mérimée, vous êtes basé plutôt Juste sur l’adaptation opéra de Bizet?

D.M. : Finalement je ne me suis basée sur rien de tout vu que j’ai retiré le deuxième rôle masculin. J’ai enlevé d’autres personnages autour. Donc c’est une véritable version originale, mais à partir de l’opéra, du fait de la musique.

C.E. : Ce que je voulais dire, c’est, au niveau de la personnalité de Carmen, les facettes que vous vous en présentez, vous vous en êtes inspirées juste par rapport au livret de Bizet, de l’Opéra, ou en prenant aussi dans la littérature, dans l’œuvre de Mérimée, l’histoire originale ?

D.M. :On peut dire que j’ai pris un peu des deux. Mais, surtout, je me suis laissée guidée par ma propre intuition. Il y a aussi une partie de moi, évidemment, de Dana Musa, c’est normal. Et puis il y a aussi une partie de la personnalité de mes danseuses, parce que je ne peux pas apparaître en travaillant avec mes danseurs, imposer seulement ce que je veux, ce que je vois. Il y a quand même un peu de dialogue, même si c’est moi qui reste chorégraphe, qui fait toute la mise en scène et texte chorégraphique, mais je suis à l’écoute de mes danseuses. De toute façon elles ont leur personnalité propre à elles, et ça se voit, entre guillemets Ça se voit. Elles portent elles-mêmes leur propre personnalité, sur scène aussi, donc même si les artistes, sont sensé incarner, interpréter n’importe qui, n’importe quoi, quand même déjà leur physique, leur façon de bouger, de regarder, de sourire, de même faire une pirouette. Chacune apporte une touche personnelle, et ça aussi, ça influence sur chaque Carmen. Je prends une danseuse qui est à la base danseuse lyrique, vous vous direz « voilà, elle est douce ». Je ne peux pas lui dire avant « toi, tu vas être une Carmen forte qui donne des ordres ». Forcément, chaque danseuse aussi apporte sa touche et Carmen est différente aussi par rapport à ça.

C.E. : Oui. Et ça nous amène à la question du générique. Comment vous avez sélectionné vos danseuses, comment s’est passé le processus. de création avec le choix des danseuses et du José, donc de l’homme, et puis aussi du destin ?

D.M. : Alors, Pour vous dire la vérité, ça c’est mon deuxième « cast » en ce moment, parce que le premier « cast » avec qui j’ai crée ce ballet, vu que ce sont les danseurs free-lance, je ne peux pas toujours les avoir à tout moment. On a donc eu des changements, des remplacements. Dans le nouveaux « cast » il y a une danseuse avec qui je travaille depuis très longtemps et puis il y a de nouvelles danseuses. Et je suis très contente parce qu’à travailler avec de nouvelles danseuses ça me donne aussi de nouvelles idées. Donc je me nourris aussi de nouvelles personnalités etc.. Je les choisis évidemment par rapport à leur capacité technique – ça c’est une évidence – après le facteur artistique. Le facteur humain aussi, parce que ça ne reste quand même pas qu’une expérience artistique mais aussi une expérience humaine de créer ensemble, de s’entendre. Là on va voyager ensemble, on va passer quand même quelques jours ensemble, jour et nuit, donc c’est très important aussi que l’on ai les mêmes « valeurs » dans la vie dans la vie artistique, que l’on ai le même regard. Que l’on se comprenne.

C.E. : Justement, vous allez partir en représentation.

D.M. : Oui.Nous tournerons d’abord dans les pays baltes pour l’instant. Ca va être les premières représentations. Il y avait une petit sorti de résidence mais je n’ai pas eu le grand spectacle encore à Paris, qui a été reporté, comme vous le savez, et du coup les circonstances ont faites – je ne m’y attendais pas – que ce ne sera pas en France mais que ce sera d’abord du coup à Riga (capitale de la Lettonie – ndr) … Et je suis très contente aussi.

C.E. : Est-ce que justement cette Carmen, qui est un peu vous, comme vous le dites, en fait, elle est un peu toutes les femmes aussi, mais est-ce que en se basant sur l’histoire de Carmen qui est une espagnole, et vous, qui êtes Kazakh, elle devient une Carmen qui est plus lune que l’autre, ou est-ce qu’elle est un peu, maintenant, de Toute(s) origine(s) ? Et comment pensez-vous qu’elle va être ressentie, de fait, dans les pays baltes par exemple, par rapport à telles que vous l’avez « construite » ?

D.M. : J’avoue, je n’ai jamais pensé aux origines de Carmen. Pour moi, j’ai plus pensé à son tempérament, son caractère, et pareil, encore une fois, les valeurs, parce qu’elle est féministe, on ne peut pas nier. En fait, quelque soit sa facette, voilà, elle est différente, elle reste féministe Et c’est ça qui est pour moi le plus important, ce qui est intéressant. Et quand je dis féministe, c’est dans un bon sens du mot. Parce qu’on parle tellement de féminisme en ce moment, « féministe, féministe », on dit tout le temps ce mot et parfois j’ai l’impression que les gens commencent à avoir un espèce de regard négatif. Et pour moi Carmen, justement, qui l’ais écrite il y a très longtemps, c’est un personnage qui est tellement d’actualité, qui est tellement moderne, en fait. Et c’est tout surtout ça qui m’attire beaucoup : elle est très moderne. Parce que, lorsqu’on prend les personnages comme Giselle. Juliette, etc.., c’est des siècles passés, il faut les moderniser.

C.E. : En fait, votre Carmen, plus que dans l’espace, elle est plus dans le temps. C’est à dire qu’elle traverse plus le temps que l’espace, elle a plus une origine dans le temps qu’elle n’a de géographie, elle a un temps plutôt « intemporel » ?

D.M. : Oui, absolument ! Et cela fait 14 – 15 ans que j’habite en France. Et maintenant, voila, je suis française. Mais je n’oublie jamais mes racines, ça vous lesavez, et plus que simplement mes racines, j’ai un regard large sur l’Asie Centrale et ça m’attriste beaucoup ce qui se passe avec les femmes Afghanes. Avec les femmes turkmènes aussi – on n’en parle pas trop dans les médias, mais ce qui se passe avec les femmes turkmènes, ce n’est pas cool non plus. Pour moi, Carmen a peut-être encore plus d’actualité, justement, en Asie Centrale. J’aimerais bien que les femmes d’Asie Centrale aient un peu plus de « Carmen » en fait. C’est pour ça que ça me touche particulièrement, encore plus ce personnage. Parce que je pense qu’il y a justement Carmen qui manque. Parce qu’en fait, en général, le rapport entre hommes et femmes – je ne parle pas de mariage seulement -, mais en général, c’est le rapport égal entre hommes et femmes, entre deux personnes adultes. Et malheureusement, ce qui se passe avec les femmes, encore une fois, les Afghanes, c’est les cas extrêmes, on est d’accord ? Et même si on ne prend pas les Afghanes, on regarde les autres femmes d’autres pays, moi je pense qu’on regarde une femme si comme elle était une enfant, elle n’est pas une adulte, parce qu’on pense que la femme, il faut la protéger, laguider, Il faut lui apprendre, parce que la femme, elle-même, elle ne sait pas trop, elle ne peut pas choisir, elle ne peut pas savoir, etc… Et l’homme, il prend une position supérieure, c’est lui qui guide, c’est lui qui doit tout savoir et connaître, et la femme doit seulement suivre. Moi, je suis contre ce concept. Pour moi, l’homme et la femme, c’est côte à côte, c’est pas l’un derrière l’autre. Et c’est pour ça, encore une fois, Carmen, qui veut avoir sa place à côté de l’homme, pour moi, c’est un personnage qui est beaucoup d’actualité, c’est très important.

C.E. : C’est vrai que l’un des points communs, quelque chose qui nous touche, c’est la condition des femmes que vous dites, Turkménistan, Afghanistan – mais c’est plus extrême. Et le lien qu’on peut faire avec Carmen, c’est que Carmen, c’est une Espagne très catholique, très restrictive envers les femmes. On revient toujours à la religion qui restreint les femmes, qui réduit le droit des femmes.

D.M. : Absolument, Carmen, pour moi, c’est ça, c’est incarnation de droit de femme ! En fait on a toujours et jusque-là, les regards très différents sur les homme et les femmes. Si une femme choisit de quitter son couple et avoir quelqu’un d’autre dans sa vie, c’est forcément une « mauvaise femme ». vous voyez. Alors que si c’est l’homme qui le fait, bon c’est pas grave, c’est même rigolo, ou c’est même légal, parce que dans les pays religieux, on peut voir jusqu’à 4 femmes en même temps, donc c’est normal quoi, alors que femme c’est pas normal. Voilà, tout de suite ça a créé un espèce de déséquilibre et d’injustice, et c’est triste.

C.E. : C‘est pour ça que votre José a quatre femmes en fait, même si elle n’en font qu’une?

D.M. : Non, non, ça c’est un hasard, je n’ai pas pensé à 4 femmes de cette espèce de harem. Non, non, ça c’est un hasard. Par contre, je ne voulais pas que ma Carmen meurt à la fin, ça c’est mon regard féministe, parce que les hommes comptent dire que la femme doit payer. Si elle sort de cadre, c’est pas bien, Il faut qu’elle paye pour ça, elle paye très cher. Avec sa vie, moi je ne pense pas. C’est pour ça que je ne veux pas complètement tuer ma Carmen, Enfin, comme j’ai dit tout a heure, c’est au spectateur de décider si elle meurs ou pas.

C.E. : Oui, mais en fait, ce n’est pas un jusqu’au-boutisme, comme ça a été le cas en Italie, il y a quelques années avec la version de Carmen, ou c’est elle qui tue carrément. José ? Ce n’est pas une question de vengeance, c’est une question d’équité chez, vous en fait ?

D.M. : Oui, pour moi c’est une question de droit des femmes. C’est le droit d’exister, le droit d’aimer.. le droit de choisir, droit de se tromper parfois. Carmen fait des erreurs, elle assume pleinement. Et puis le droit de changer. Le droit à la différence surtout. Voilà, chez moi, vu que c’est quatre Carmen différentes, c’est le droit d’être différent, le droit parfois de jouer. Et c’est pour ça que Jose ne supporte pas ça, et pourquoi, dans ma version, il va jusqu’au crime. Il croyant que c’était lui qui jouait avec elle, mais, en réalité, c’est elle qui menait tout depuis le début. Et ça, il ne peut pas l’accepter.

C.E. : Mais ça a toujours était le cas. En fait, c’était toujours ça. Ce sont les femmes qui mènent le monde, mais qui laissent les hommes croire que ce sont eux qui le dirige.

D.M. : Voila. c’est ça, et donc, il y a cru jusqu’au bout, mais sauf qu’à toute fin… Et, parfois, pour certains hommes, c’est insupportable comme idée, malheureusement, ils ne veulent pas que la femme soit leur égale, et « joue avec les mêmes règles ». Il faut que ce soit eux qui décident les règles.

C.E. : Et du coup, c’est vrai que là, votre Carmen qui vous tient à cœur sur ce domaine-là, pour les droits des femmes, vous pensez justement d’autres pays – on va dire de l’ancienne URSS ? On va dire de l’Asie centrale, par exemple ? Des pays turciques ? vous parliez du Turkménistan. Est-ce que vous pensez à d’autres pays turciques ou vous auriez des contacts pour la présenter – peut-être même au Turkménistan ?

D.M. : Alors, dans ce pays, je ne pense pas danser. Au Turkménistan, à ma connaissance, le ballet est carrément interdit. Il est interdit comme en Iran. Je sais pas, peut-être même en Irak, d’ailleurs. Sinon, moi, je serai très contente de présenter Carmen dans le plus de pays où on m’invite. à condition que l’on soit en sécurité. Moi, je n’ai pas de frontières. Si on m’invite en Europe, en Asie Centrale, je serai ravie de la présenter.

C.E. : l n’y a pas de pays où vous avez plus envie de présenter votre Carmen?

D.M. : Évidemment, Kazakhstan, ça me parle beaucoup. J’aurais dû dire « à part le Kazakhstan », parce que c’est mon pays d’origine. Donc je serai très contente et j’espère que, l’année prochaine, on va pouvoir danser Carmen dans ce pays-là. Sinon, non, pas particulièrement. Il n’y en a pas, parce que je pense, qu’il n’y a pas un pays que d’autres où il y a plus de problèmes à Asie, pour les droits des femmes. Disons qu’en Europe, on a « moins de problèmes ». Mais, même en Europe, Carmen, ça reste un personnage d’actualité. Et je pense, très honnêtement, partout sur notre planète, on a besoin de Carmen. On a vraiment besoin d’entendre et voir Carmen, parce que voilà, elle incarne une femme féministe Et même si on pense qu’on parle beaucoup de ça, de féminisme, aujourd’hui, ce n’est pas assez. La preuve que ce n’est pas assez, voyez ce qui se passe. Aux États-Unis, grand pays démocrate, avec Trump, peut-être qu’on va interdire l’avortement dans certains États. Ça veut dire que la femme n’aura plus le droit de faire ce qu’elle veut avec son corps.

C.E. : On n’en vient toujours au contrôle du corps de la femme par la religion. Parce que la question d’avortement c’est quasiment toujours une question religieuse en fait.

D.M. : C’est la question de la vie. Le droit de vie pour le petit enfant. Enfin, c’est même pas un encore un enfant, c’est un embryon qui a été créé par l’homme et la femme. Mais c’est quand même beaucoup plus de charges sur la femme, on est d’accord.

C.E. : Et, pour en revenir plus directement à votre ballet, vous pensez rester combien de temps sur Carmen ? Est-ce que vous pensez faire d’autres projets dans le même temps ou ne vous consacrez qu’à Carmen pendant un certain temps?

D.M. : Je fais d’autres projets en parallèle. J’écris le scénario de mon premier long-métrage en ce moment. Et puis j’ai eu une invitation dans le sud de la France. Un autre spectacle qui s’appelle « Amazones », Mais ça, c’était plus au sujet de femmes qui ont cancer du sein. Parce que, comme vous le savez, l’amazone se coupe le sein. Et je fais plusieurs choses en même temps.

C.E. : « Amazones », ça va d’autant plus avec vos origines que les amazones puisque vous êtes de la terre originelle sur lequel elles existaient.

D.M. : Oui, absolument. Plusieurs siècle avant Jésus-Christ, alors que le Kazakhstan n’existait pas, mais qui était la même terre. Les femmes à l’époque étaient plus libres qu’aujourd’hui. Elles faisaient la guerre comme les hommes. Elles montaient cheval et tiraient à l’arc. Et c’est pour ça qu’elles avaient besoin de se couper un sein. Enfin, voilà, elles étaient les reines, les prêtresses, les chamans.

C.E. : Et puis la « légendaire » Tomiris. Voilà, et ça c’est la légende mais aussi la femme bien réelle.

D.M. : Voilà. cette mythique Tomiris qui m’a toujours beaucoup inspiré. J’aime beaucoup cette époque de matriarchie où les femmes étaient très libres. Il n’y avait pas cette notion de religion parce qu’à l’époque il n’y avait pas justement la religion. Il n’y avait pas de religion patriarcale en elle-même. Il n’y avait pas cette hiérarchie comme ça dans la croyance. Il y avait la croyance à l’eau au soleil, au ciel, ce qu’on appelle d’ailleurs « tengrisme ». Moi même je suis tengriste. C’est pour ça – et d’où vient – cette envie de liberté

C.E. : D’accord. Un côté animiste comme on dit en fait, Chamanique, comme on letrouve d’ailleurs dans vos régions, jusqu’à même la Sibérie.

D.M. : Absolument. C’est exactement cela.Vous avez tout à fait compris animisme, chamanisme, tout animisme.

C.E. : D’accord. En tout cas, on souhaite bonne réussite, en fait à cette Carmen. On souhaite lui souhaite de vivre longtemps.

D.M. : Merci beaucoup Merci. J’avoue je suis très heureuse, mais un peu inquiète ou anxieuse que de présenter ma version libre de Carmen, parce que, avant moi, il y eu tant de grands chorégraphes qui ont fait leur version et d’oser ce sujet et cette musique ce n’est pas facile. Donc j’espère que ça va bien marcher.

C.E. : Assurément ! En tout cas merci Et puis au plaisir d’avoir l’occasion de la voir après en France.

D.M. : Oui avec plaisir, avec grand plaisir. J’espère déjà que notre interview va vous donner l’envie de venir voir notre ballet.

Entrevue réalisée à Paris, île de la Cité, le 14 novembre 2024

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