Turquie : un mur financé par l’UE détruit les villages kurdes

Dans la province turque de Van, un mur de séparation de 300 kilomètres, construit le long de la frontière avec l’Iran, a bouleversé la vie de centaines de familles kurdes.

Destiné à lutter contre l’immigration en provenance d’Iran et d’Afghanistan, ce mur, financé en partie par l’Union européenne (UE), a non seulement militarisé la région mais aussi détruit des villages entiers, privant les habitants de leurs terres et de leurs moyens de subsistance.

Une frontière infranchissable

Ce mur, haut de trois mètres et surmonté de barbelés et de miradors, serpente le long des montagnes frontalières, transformant les pâturages en zones militaires interdites. « Depuis la construction du mur, nous ne pouvons plus faire paître nos troupeaux. L’armée nous a repoussés plus bas dans la vallée », déplore Serdar Argül, un jeune berger kurde de 18 ans.

La surveillance constante, avec des drones équipés de reconnaissance faciale, des caméras thermiques et des véhicules blindés, terrorise les quelques familles encore présentes dans des villages comme Turgali. « C’est une guerre psychologique que nous mène l’État. Les caméras nous empêchent de sortir librement », confie une habitante.

Des villages vidés de leurs habitants

La militarisation de la région a déjà poussé 150 familles de Turgali à fuir. Engin Kolcuer, ancien fermier, a quitté son village pour rejoindre Bodrum, sur la côte ouest, où il a trouvé un emploi dans le bâtiment. « Après des mois d’errance, j’ai fini par trouver un travail. Ma femme et ma fille ont pu me rejoindre », raconte-t-il.

Cette migration forcée, dénoncée par des habitants et des élus locaux, menace de faire disparaître l’identité kurde dans cette région. Mehmet Salih Coskun, avocat spécialisé dans les questions migratoires, explique : « En vidant ces villages, le gouvernement turc cherche à effacer l’histoire, la culture et l’identité kurdes. »

Une stratégie politique déguisée

Officiellement, ce mur vise à contrôler l’immigration. Mais pour le maire de Saray, élu du Parti démocratique des peuples (HDP), la véritable intention est claire : affaiblir les liens entre les communautés kurdes des deux côtés de la frontière.

Depuis des décennies, cette région frontalière est marquée par les tensions entre le gouvernement turc et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), actif dans la région. La construction du mur s’inscrit également dans une stratégie plus large du président Recep Tayyip Erdogan pour réprimer les aspirations à l’autonomie des Kurdes, que ce soit en Turquie ou en Syrie.

L’UE et la Turquie : un partenariat controversé

La participation de l’UE à ce projet soulève des questions éthiques. En finançant la militarisation de la frontière, Bruxelles et Ankara partagent un objectif commun : maintenir les réfugiés à distance des frontières européennes. Des sommes importantes ont été allouées pour déminer la zone, construire des infrastructures militaires et fournir des équipements de surveillance modernes.

Pourtant, les critiques pointent du doigt les conséquences humanitaires désastreuses de cette collaboration. Berfin, habitante de la région, raconte : « Les prix des denrées alimentaires ont doublé. Nous ne pouvons plus acheter de farine aussi souvent qu’avant. »

Un avenir incertain pour les Kurdes

Alors que les villages se vident, les Kurdes résistent tant bien que mal. Mais beaucoup craignent que cette région, autrefois florissante grâce au commerce transfrontalier, ne devienne un désert abandonné.

« Ce mur symbolise la répression de notre peuple. Il ne s’agit pas seulement d’un mur physique, mais d’une barrière contre notre existence », conclut Cüzeyri Özkaplan, un retraité de Sirimli.

La construction de cette forteresse illustre une nouvelle étape dans la politique répressive de la Turquie à l’égard des Kurdes, avec la complicité de l’Union européenne. Un triste témoignage des sacrifices humains au nom de la sécurisation des frontières.

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