Guadeloupe (France) : L’œuvre d’un artiste représentant le président Emmanuel Macron décapité provoque une controverse judiciaire

Le président de la République française, Emmanuel Macron, a déposé une plainte contre X après la présentation, en janvier dernier, d’un tableau le représentant la tête tranchée lors de l’exposition « Exposé.e.s au chlordécone », au Centre des arts et de la culture (CAC) de Pointe-à-Pitre. Cette démarche judiciaire a suscité de vives réactions en Guadeloupe, où l’affaire est perçue par certains comme une atteinte à la liberté artistique et une illustration des tensions politiques entre l’État et le territoire.

Une œuvre polémique et une plainte présidentielle

Le tableau en question, intitulé Non-lieu, est l’œuvre de l’artiste guadeloupéen Blow (de son vrai nom François Moulin). Il représente un homme noir brandissant la tête décapitée d’Emmanuel Macron sur un fond évoquant un incendie. L’artiste revendique une œuvre engagée, exprimant la colère et la frustration des Guadeloupéens face au traitement du scandale du chlordécone, un pesticide toxique massivement utilisé dans les Antilles françaises et reconnu comme un perturbateur endocrinien et un cancérogène probable.

« Je suis presque honoré d’être à l’origine de tout ça », confie Blow. Selon lui, cette peinture traduit « la frustration et la colère d’un Guadeloupéen envers un système qui ne cesse de nous opprimer ». Il critique notamment la décision de non-lieu rendue en janvier 2023 par la justice française concernant l’empoisonnement de la population au chlordécone, perçue comme un déni de justice par de nombreux habitants de l’archipel.

Suite à la plainte d’Emmanuel Macron, une enquête a été ouverte pour atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique de la personne, sans que cela soit suivi d’effet. Cette procédure judiciaire a conduit à une première audition, le 13 février, du président de l’association Envie Santé, organisatrice de l’exposition.

Une audition perçue comme une pression politique

Philippe Verdol, président de l’association, a été convoqué par la police nationale à Pointe-à-Pitre. À sa sortie du commissariat, il a dénoncé une procédure « extravagante » et une logique de « néocolonie ». Il affirme avoir refusé de répondre aux questions des enquêteurs en l’absence d’une copie de la plainte présidentielle.

« C’est le type de convocation que l’on reçoit sous les cocotiers », a-t-il ironisé, en pointant du doigt ce qu’il considère comme une tentative de museler la contestation artistique. Son avocat, Me Patrice Tacita, a lui aussi exprimé sa surprise et son inquiétude face à cette affaire.

Élie Domota, figure emblématique du mouvement social en Guadeloupe et porte-parole du LKP (Liyannaj Kont Pwofitasyon), était présent pour soutenir Philippe Verdol. Il a dénoncé une attitude de « mépris » de l’État envers les Guadeloupéens, estimant que cette plainte détourne l’attention des véritables enjeux, notamment la gestion du scandale du chlordécone.

De nouvelles auditions à venir

Deux autres personnes sont visées par la plainte : Antonwè, commissaire de l’exposition, et Blow, l’artiste lui-même. Ils doivent être entendus par la police le 20 février prochain.

Présent lors de l’audition de Philippe Verdol, Blow a réagi avec calme : « Je suis toujours dans l’attente, mais loin d’être inquiet. » Il considère que l’ampleur prise par cette affaire lui donne l’opportunité de mettre en lumière les injustices subies par les Guadeloupéens.

Cette affaire s’inscrit dans un climat de tensions récurrentes entre la Guadeloupe et l’État français, où les questions de justice environnementale et d’héritage colonial continuent d’alimenter un profond ressentiment. La suite de l’enquête et les décisions judiciaires à venir seront suivies de près, aussi bien en Guadeloupe qu’en métropole.

Didier Maréchal

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