France : Macron reçoit à Paris le président syrien par intérim Ahmed al-Charaa, ex-djihadiste, « qui n’a pas renoncé a son passé » selon les renseignements états-uniens

Ce mercredi 7 mai, le président français Emmanuel Macron reçoit à Paris Ahmed al-Charaa, président intérimaire de la Syrie (et nouveau dictateur de la Syrie), pour sa première visite en Europe depuis la chute de Bachar el-Assad en décembre dernier. Cette rencontre diplomatique, à forte portée symbolique et politique, suscite de vives réactions, notamment en raison du « passé » djihadiste d’al-Charaa, connu également sous le nom d’Abou Mohammed al-Joulani.

Un soutien conditionnel de la France

L’Élysée affirme que la visite du nouveau dictateur islamiste de la Syrie, Ahmed Al-Charaa, s’inscrit dans « la continuité de l’engagement historique de la France pour les Syriennes et les Syriens qui aspirent à la paix et à la démocratie ». Emmanuel Macron compte redire son soutien à « la construction d’une Syrie libre, stable, souveraine et respectueuse de toutes les composantes de la société syrienne », tout en rappelant ses «exigences » : stabilisation régionale, protection des minorités, lutte contre le terrorisme, et participation inclusive des forces civiles au sein du gouvernement syrien.

L’invitation à Paris avait été formulée dès février dernier, mais le président français avait posé, en mars, des conditions : la formation d’un gouvernement syrien inclusif et des garanties claires sur la sécurité du pays. Ces exigences semblent partiellement remplies selon Paris, d’où cette réception officielle, bien que jugée prématurée par plusieurs chancelleries occidentales.

Une transition syrienne sous tension

Depuis la prise de pouvoir par la coalition islamiste dirigée par al-Charaa, la Syrie tente de donner des gages d’ouverture. Cependant, les signaux contradictoires se multiplient. En mars, des massacres dans l’ouest du pays ont fait plus de 1 700 morts, majoritairement des Alaouites, communauté à laquelle appartenait Bachar el-Assad. Récemment et d’un islam considéré comme blasphémateur par l’islam sunnite, de nouvelles violences ont visé les Druzes, avec une centaine de morts recensés en une semaine.

Ces affrontements confessionnels, associés à des accusations de sévices documentées par des ONG, soulèvent des doutes profonds sur la capacité du nouveau régime à contenir les factions extrémistes affiliées à l’ancienne rébellion.

Le spectre du djihadisme

Le passé du « président intérimaire » syrien pèse lourd sur sa crédibilité internationale. Ancien dirigeant du Front al-Nosra (branche syrienne d’Al-Qaïda) et chef actuel du Hayat Tahrir al-Cham (HTC), Ahmed al-Charaa — alias Abou Mohammed al-Joulani — est toujours considéré comme un ex-djihadiste dangereux par plusieurs services de renseignement occidentaux.

Malgré ses déclarations affirmant avoir « tourné la page » du djihadisme, les États-Unis d’Amérique, notamment, restent sceptiques. Une note du renseignement états-unien, relayée parle média français « Europe 1 », affirme que la nouvelle administration syrienne distribue « à tout-va » des passeports à d’anciens combattants islamistes étrangers, ce qui constitue « une menace directe pour les pays occidentaux ».

Une exemption controversée

L’ONU a accordé une exemption de déplacement à Ahmed al-Charaa, normalement interdit de voyage puisqu’étant toujours sur la liste onusienne (et de nombreux autres pays) des terroristes recherchés, afin de permettre cette visite à Paris. Ce geste diplomatique exceptionnel (qui n’est pas accordé à Netanyahou, combattant les mouvements terroristes islamistes, ou encore à Vladimir Putin) a été critiqué dans les milieux sécuritaires et politiques, d’autant plus que, selon Washington, l’appareil sécuritaire syrien demeure largement contrôlé par des proches d’al-Joulani.

Des observateurs craignent qu’au-delà du discours modéré affiché à l’international, le pouvoir syrien reste infiltré par des réseaux extrémistes. Le renseignement états-unien estime que « les minorités ne sont pas protégées » et que les violences récentes rappellent « les pires heures de l’État islamique ».

Une Syrie au bord du gouffre

Dans ce climat de méfiance et d’instabilité, plusieurs diplomates occidentaux, dont des représentants de l’OTAN, s’alarment. Une source qualifie la situation actuelle de « dérive incontrôlée » et n’exclut pas que la Syrie puisse devenir « un autre Gaza », minée par les conflits confessionnels, les ingérences régionales et l’absence de réelle autorité centrale.

Pendant ce temps, Israël a intensifié ses frappes sur le territoire syrien, dont l’une a visé vendredi un secteur proche du palais présidentiel à Damas. Israël affirme vouloir protéger les Druzes et envoyer « un message clair au régime syrien ».

Une visite aux lourds enjeux

Pour Emmanuel Macron, cette rencontre est à la fois une tentative de reprise du dialogue avec Damas et une manière de tester les intentions réelles du nouveau pouvoir syrien. Mais elle expose aussi la France à de fortes critiques, notamment sur la prudence de légitimer un acteur encore fortement lié à l’histoire du djihadisme syrien, principalement pour des raisons géopolitiques et dans le cadre des actions menées pour isoler au maximum la Russie, puisque celle-ci est un partenaire proche de la Syrie depuis des décennies – y compris de la dynastie laïque des Al-Assad – au point que des troupes ukrainiennes ont été soutenir le mouvement terroriste islamiste HTC depuis le début de leur guerre contre la Russie .

Si la France veut peser dans le futur politique du pays, elle devra concilier engagement diplomatique, exigence sécuritaire, et pressions humanitaires. Reste à savoir si cette main tendue à Ahmed al-Charaa participera réellement à stabiliser la Syrie… ou si elle renforcera une façade trompeuse d’un pouvoir encore marqué par ses zones d’ombre.

Didier Maréchal & Christian Estevez

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