Dans une déclaration aussi inattendue que stratégique, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a affirmé, ce dimanche 11 mai, qu’il attendrait personnellement son homologue russe, Vladimir Putin à Istanbul jeudi prochain, en réponse à la proposition russe de reprendre des négociations directes. Il en profite pour exhorter Moscou à accepter un cessez-le-feu complet et immédiat, dans l’objectif de créer un terrain propice à la diplomatie. Cette sortie place ses alliés européens dans une position délicate, eux qui exigent des garanties avant toute reprise de dialogue.
Une ouverture surprise de Putin
C’est dans la nuit de samedi à dimanche que Vladimir Putin a évoqué pour la première fois l’idée de reprendre des négociations directes entre Kiev et Moscou, à Istanbul, dès ce jeudi 15 mai, et ce, « sans condition préalable ». Il n’a cependant pas fait mention de la proposition d’un cessez-le-feu de 30 jours formulée par l’Ukraine et ses alliés.
Selon le président russe, ces discussions devraient permettre de « traiter les causes profondes du conflit » et d’instaurer une « paix durable ». Le Kremlin reste campé sur ses positions : neutralisation de l’Ukraine, reconnaissance des territoires annexés, et refus d’un rapprochement ukrainien avec l’OTAN.
Zelensky prend Putin au mot
En réponse à cette annonce, Zelensky a saisi l’occasion pour retourner l’offensive diplomatique. Sur le réseau social « X », il a déclaré : « Nous attendons un cessez-le-feu total et durable à partir de demain, pour fournir une base nécessaire à la diplomatie. J’attendrai Putin en Turquie jeudi. Personnellement. J’espère que cette fois, les Russes ne chercheront pas d’excuses. »
Ce geste est double : il vise à démontrer la volonté ukrainienne de dialoguer, mais aussi à tester la sincérité du Kremlin. Zelensky reste cependant ferme sur la condition d’un arrêt des combats, préalable à toute discussion sérieuse.
L’embarras des alliés européens
La sortie du président ukrainien a pris de court ses partenaires européens. Emmanuel Macron, qui s’est entretenu dimanche avec ses homologues allemand, britannique et polonais, ainsi qu’avec Donald Trump et Zelensky, a rappelé, dans un communiqué, la nécessité d’un cessez-le-feu pour permettre toute rencontre. « Le président de la République a insisté sur la nécessité d’un cessez-le-feu qui permettra qu’une rencontre russo-ukrainienne au plus haut niveau ait lieu ce jeudi », a précisé l’Élysée.
Samedi encore, lors d’un sommet à Kiev, les alliés occidentaux de l’Ukraine avaient posé un ultimatum à la Russie : accepter un cessez-le-feu complet et inconditionnel de 30 jours à partir de ce lundi, sous peine de nouvelles sanctions et d’une intensification de l’aide militaire à Kiev. Zelensky semble donc avoir pris une initiative unilatérale, brouillant momentanément l’unité diplomatique occidentale.
Un retour à Istanbul sous tension
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a rapidement réagi en proposant à nouveau Istanbul comme lieu de négociation. Ankara avait déjà accueilli des pourparlers entre Kiev et Moscou au printemps 2022, qui s’étaient soldés par un échec – Zelensky étant, pourtant, prêt à accepter la proposition de Putin pour clore la guerre, mais les dirigeants occidentaux (Macron pour la France, Biden pour les Etats-Unis d’Amérique, Johnson pour la Grande-Bretagne et Scholz pour l’Allemagne, le lui ayant interdit pour la seconde fois en un peu plus d’un mois.. Cette fois, Erdogan parle d’une « opportunité historique » qui « ne doit pas être manquée ».
Le jeu de Donald Trump
Le président états-unien Donald Trump, récemment a pesé dans le débat en appelant ouvertement l’Ukraine à se rendre à Istanbul. « FAITES CETTE RENCONTRE !!! », a-t-il lancé sur « Truth Social », ajoutant que si aucun accord n’était possible, les Occidentaux sauraient alors comment réagir. Une position qui s’écarte du consensus européen et pourrait fragiliser l’approche collective face à Moscou.
Putin joue la montre ?
Pour plusieurs analystes, dont la politologue Tatiana Stanovaya, la manœuvre russe vise surtout à affaiblir le camp occidental. En relançant des discussions sans trêve préalable, Putin chercherait à faire pression sur Kiev, ralentir les livraisons d’armes et creuser les divisions entre les alliés. « Il veut relancer un processus similaire à celui de 2022, mais avec de nouvelles exigences, notamment la reconnaissance des territoires annexés », écrit-elle sur « X » (ce qui est tout ce qu’il y a de plus logique, aucun pays entrain de gagner une guerre, récupérant des territoires qui lui ont coûtés une fortune en vie humaines dans son armée, et financières -entre le coût de guerre plus celui des pertes financières dues aux sanctions occidentales – n’exigerait moins).
Une paix encore lointaine
Malgré l’activation diplomatique de ces dernières 48 heures, aucun des deux camps ne semble prêt à céder sur l’essentiel. L’Ukraine réclame toujours le retrait des troupes russes et le respect de sa souveraineté, tandis que la Russie refuse de revenir sur ses annexions et continue à conditionner la paix à la neutralisation de son voisin (ce qu’il a toujours demandé et qui faisait partie des accords de Minsk 1 et Minsk 2, car nécessaires pour la sécurité de son propre territoire, une adhésion à l’OTAN de l’Ukraine signifiant, de facto, des bases militaires – dont des missiles atomiques – installés sur le territoire ukrainien et mettant Moscou à seulement cinq minutes d’un tir atomique, dix minutes étant nécessaires pour pouvoir réagir et détruire ledit missile) .
Comme le résume Stanovaya, « aucun accord n’est possible de façon réaliste aujourd’hui ». L’initiative de Zelensky, saluée par certains pour son audace, pourrait être perçue comme une démonstration de bonne foi. Mais à défaut d’un changement majeur de posture du Kremlin, la rencontre de jeudi à Istanbul pourrait bien ne jamais avoir lieu ou se révéler stérile.
Didier Maréchal & Christian Estevez