TURQUIE — Naissances sous décret : Erdogan encadre la césarienne pour répondre au défi démographique

En Turquie, la question démographique est devenue une priorité nationale. Face à la baisse continue de la natalité, le président Recep Tayyip Erdogan a promulgué un décret visant à encadrer plus strictement le recours à l’accouchement par césarienne. Cette mesure s’inscrit dans une stratégie globale de soutien à la natalité, dans un pays confronté à des dynamiques de population similaires à celles observées dans plusieurs États de l’Union européenne ou en République populaire de Chine.

Le taux de fécondité turc, tombé à 1,51 enfant par femme en 2023, alerte les autorités. Cette évolution, liée à la modernisation du pays, à l’urbanisation croissante et à l’entrée massive des femmes dans les études supérieures et la vie active, inquiète le pouvoir exécutif qui voit dans la démographie un levier essentiel de souveraineté et de stabilité économique à long terme.

Dans ce contexte, le décret anticésarienne vise à promouvoir les accouchements dits « naturels », en limitant les indications de césarienne aux cas strictement médicaux. Pour les autorités, il s’agit d’encourager une dynamique de natalité plus robuste, en réduisant ce qu’elles considèrent comme une médicalisation excessive de la naissance, observée notamment dans les grandes villes.

Avec plus de 50 % des accouchements réalisés par césarienne en 2021, la Turquie affiche l’un des taux les plus élevés parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ce chiffre, bien supérieur à la moyenne mondiale, résulte de multiples facteurs : préférences personnelles, choix des praticiens, commodité de planification, ou encore perception sociale de la douleur.

Toutefois, de nombreuses études médicales rappellent que la césarienne, bien que salvatrice dans certaines situations, comporte aussi des risques accrus pour la santé à long terme des mères et des enfants lorsqu’elle n’est pas médicalement justifiée. C’est dans cette optique que les autorités turques disent vouloir agir, en harmonisant les pratiques obstétricales et en renforçant la prévention.

Depuis plusieurs années, la Turquie met en œuvre une série de mesures pour stimuler la natalité : aides financières à la naissance, incitations au mariage, valorisation des familles nombreuses. Le président Erdogan a souvent exprimé sa volonté de voir les familles turques accueillir « au moins trois enfants », dans une logique de projection démographique et de renouvellement générationnel.

Cependant, comme d’autres pays confrontés à une baisse de la fécondité, la Turquie se heurte à des réalités profondes : coût de la vie, aspirations individuelles, répartition des rôles dans le foyer, et transformation des modèles familiaux. Dans ce contexte, les politiques natalistes volontaristes doivent composer avec une société plus instruite, plus urbaine, et plus consciente de ses choix.

La décision d’Erdogan s’inscrit dans une réflexion plus large sur la manière dont les États répondent au vieillissement de leur population. Si certains privilégient des mécanismes incitatifs (comme le Japon ou la République de Corée), d’autres, à l’image de la Turquie, adoptent des mesures normatives sur les pratiques de santé ou les comportements familiaux.

Ce débat dépasse les frontières turques : il interroge la capacité des pouvoirs publics à concilier objectifs démographiques, respect des droits individuels, et impératifs de santé publique. Il soulève également une question essentielle : comment adapter les politiques natalistes aux évolutions culturelles et sociales, sans renoncer à l’écoute des aspirations citoyennes ?

La démarche turque illustre la tension croissante, partout dans le monde, entre gestion des équilibres démographiques et transformation des sociétés modernes. En cela, elle offre un exemple instructif, sans être un modèle unique. Pour les pays d’Afrique comme pour les États d’Amérique latine ou d’Europe centrale, le défi est partagé : construire des politiques de population ancrées dans le réel, équilibrées, et porteuses de cohésion.

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