Guillermo del Toro revisite Frankenstein : quand Netflix se substitue aux salles obscures

En 2025, une œuvre cinématographique majeure n’entrera pas par la grande porte des cinémas, mais par les couloirs dématérialisés de Netflix. Il s’agit de « Frankenstein », nouvelle adaptation du classique de Mary Shelley, mise en scène par l’un des maîtres contemporains du fantastique, le réalisateur mexicano-états-unien Guillermo del Toro.

Depuis plusieurs années, Guillermo del Toro fait figure de référence dans le domaine du cinéma fantastique. Oscarisé pour La Forme de l’eau (2017) et salué pour des œuvres comme Le Labyrinthe de Pan, il s’était longtemps vu refuser les moyens de porter à l’écran son rêve d’adapter Frankenstein. C’est finalement avec Netflix plateforme avec laquelle il a déjà collaboré avec succès pour Pinocchio (2022) qu’il a pu concrétiser ce projet de longue haleine.

L’œuvre de Mary Shelley, publiée en 1818, est bien plus qu’un récit gothique : elle est une interrogation philosophique sur les limites de la science, les responsabilités de la création, et l’exclusion des êtres considérés comme « autres ». Del Toro, fidèle à sa sensibilité humaniste et à son goût pour les figures marginales, a annoncé une approche centrée sur l’émotion plus que sur l’effroi.

Dans ses propres termes, il s’agit d’un film « davantage sur la paternité et la solitude que sur la monstruosité ». Une manière de réinscrire Frankenstein dans les préoccupations contemporaines, marquées par la crise des figures d’autorité, l’angoisse identitaire et les dérives du progrès technologique.

Oscar Isaac (Victor Frankenstein), Jacob Elordi (la créature), Mia Goth, Christoph Waltz ou encore Lars Mikkelsen composent la distribution. Cette réunion d’acteurs issus de cultures et de générations diverses souligne l’ambition internationale du projet, pensé pour une diffusion mondiale dès sa sortie, prévue en novembre 2025.

Le choix d’Elordi, jeune acteur australien, pour incarner la créature, marque une volonté de renouvellement des représentations. Loin du monstre caricatural popularisé par le cinéma hollywoodien du XXe siècle, il s’agirait ici d’un être complexe, douloureusement conscient de sa condition.

Mais ce n’est pas tant le contenu du film que son mode de diffusion qui suscite le débat. Frankenstein ne sortira pas en salle, mais directement sur Netflix, dans ce qui devient de plus en plus une norme pour les productions à gros budget. Ce choix soulève une question fondamentale : assiste-t-on à la marginalisation progressive des salles de cinéma, autrefois lieux de rassemblement collectif et d’expériences esthétiques partagées ?

Ce phénomène n’est pas neutre. Il reflète un déplacement du pouvoir culturel, des institutions cinématographiques vers les plateformes numériques, majoritairement états-uniennes. Netflix, tout en permettant à des auteurs d’exception de réaliser des œuvres ambitieuses, impose également ses logiques de rentabilité et d’accessibilité instantanée. Le cinéma, en tant qu’art du rituel et de l’écran partagé, pourrait s’en trouver durablement altéré.

Ce cas illustre enfin une tendance plus large : la centralisation croissante de la production et de la diffusion culturelles dans les mains de quelques grands groupes numériques. La question se pose avec acuité pour les pays du Sud, dont les industries cinématographiques peinent à rivaliser face à l’hégémonie des plateformes états-uniennes.

Dans un monde où les récits forgent les imaginaires collectifs, la dépendance aux catalogues des géants du streaming pose la question de la souveraineté culturelle. Si Frankenstein version Del Toro promet d’être une œuvre magistrale, sa circulation exclusivement numérique, dans un univers algorithmique gouverné par la logique du flux, ne peut être analysée sans un regard critique sur les dynamiques géopolitiques qu’elle incarne.

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