Musique : Nicole Croisille, une voix française à l’écho universel, s’éteint à 88 ans

La chanteuse et comédienne Nicole Croisille est décédée ce 4 juin 2025 à Paris, à l’âge de 88 ans. Figure discrète mais essentielle de la scène artistique francophone, elle laisse derrière elle un parcours d’une rare densité, marqué par l’exigence, l’émotion et la fidélité à une certaine idée de l’art.

Née en 1936 à Neuilly-sur-Seine, Nicole Croisille aura traversé les époques sans jamais se plier aux effets de mode. À la fois chanteuse, danseuse, actrice et meneuse de revue, elle fut révélée au grand public international par le célèbre refrain « chabadabada » du film Un homme et une femme (1966), chef-d’œuvre de Claude Lelouch, Palme d’or au Festival de Cannes et Oscar du meilleur film étranger.

Ce titre interprété aux côtés de Pierre Barouh, sur une composition de Francis Lai a fait le tour du monde. Peu de morceaux peuvent se targuer d’avoir intégré à ce point l’imaginaire cinématographique international. Ce chant doux, presque murmuré, est devenu le symbole d’un romantisme français qui séduit au-delà des frontières, en particulier dans les milieux cinéphiles et musicaux d’Amérique du Nord, du Japon ou encore d’Amérique latine.

Le choix de Lelouch, en pleine époque yéyé, d’associer Croisille à ce thème résume l’originalité de l’artiste : une voix au timbre distinct, sans démonstration, mais avec une justesse émotionnelle rare.

Avant de chanter, Nicole Croisille danse. Formée à l’Opéra de Paris, elle étudie également le mime avec Marcel Marceau, puis s’exporte à Broadway comme meneuse de revue. Cette polyvalence, rare à une époque où les artistes étaient volontiers enfermés dans une catégorie, a fait d’elle une pionnière d’un art total, où la technique servait toujours l’expression.

Dans les années 1970, elle s’impose aussi comme chanteuse populaire avec des titres comme Téléphone-moi ou Une femme avec toi. Des chansons qui, sans avoir l’impact des grandes icônes de la chanson française, ont séduit un public fidèle par leur délicatesse et leur sensibilité.

Le cinéma, le théâtre, la scène musicale : partout, Nicole Croisille a trouvé sa place. On la retrouve dans Les uns et les autres ou Itinéraire d’un enfant gâté, toujours sous la direction de Lelouch. Mais elle investit aussi la comédie musicale, en particulier avec Hello, Dolly! ou, plus tard, Le passe-muraille.

En 1987, son album Jazzille enregistré avec des musiciens de renom comme Manu Dibango ou Didier Lockwood témoigne d’une autre facette de son art : un goût du swing, du phrasé libre, et une fidélité au jazz, cette langue universelle qui transcende les cultures.

Artiste de l’ombre, Nicole Croisille ne cherchait pas les tribunes. Mais elle s’engageait avec constance : pour la transmission artistique, via le Centre des arts vivants à Paris, et pour la planète, en cosignant en 2018 une tribune d’alerte climatique avec d’autres figures du monde culturel.

Le décès de Nicole Croisille ne touche pas uniquement la France. Il affecte tout un pan de la mémoire culturelle francophone et internationale. Des générations de spectateurs, en Afrique, en Europe, en Amérique et au Japon, ont entendu sa voix sans toujours connaître son nom. Elle était de ces artistes qui traversent les frontières sans fracas, mais dont l’empreinte demeure.

Son parcours rappelle aussi le rôle fondamental des arts dans les échanges internationaux : ce « chabadabada » fredonné sur tous les continents fut, à sa manière, un acte de diplomatie culturelle.

Avec la disparition de Nicole Croisille, c’est une certaine idée de l’élégance artistique qui s’en va. Mais c’est aussi un legs immense, fait de discrétion, de constance et d’exigence, qui demeure.

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