Le 9 juin 2025, Sylvester Stewart alias Sly Stone s’est éteint à Los Angeles à l’âge de 82 ans. Derrière les paillettes psychédéliques et les grooves effervescents, ce pionnier états-unien du funk laisse une empreinte culturelle et politique d’une rare densité.
Il fut l’un des artistes les plus novateurs du XXe siècle. Fondateur du groupe Sly and the Family Stone, Sly Stone a profondément transformé le paysage musical mondial, au croisement du funk, de la soul, du rock et de la contre-culture. Le musicien est décédé des suites d’une maladie pulmonaire chronique, entouré de ses proches. Si la nouvelle de son décès bouleverse la scène musicale mondiale, elle offre aussi une occasion de revisiter un legs artistique qui déborde largement du champ du divertissement.
Né au Texas en 1943 et élevé en Californie dans une famille religieuse, Sly Stone se forme très tôt à la musique gospel. Multi-instrumentiste surdoué, il devient producteur et animateur radio avant de fonder, en 1966, un groupe qui ne ressemble à aucun autre : Sly and the Family Stone. Un collectif mixte, tant sur le plan racial que genré fait rare, voire révolutionnaire à l’époque, où Noirs et Blancs, hommes et femmes, partagent la scène et la création. Le choix est hautement politique, en plein contexte de luttes pour les droits civiques aux États-Unis d’Amérique.
À travers des titres comme Everyday People, Family Affair ou Thank You (Falettinme Be Mice Elf Agin), le groupe impose une esthétique nouvelle. Le groove est tendu, syncopé, électrisant. Le message est clair : la musique est un vecteur de transformation sociale. Si James Brown a codifié le funk, Sly Stone en a démultiplié les possibilités harmoniques, narratives et spirituelles. Le genre devient un moyen de résistance, d’affirmation identitaire et d’utopie collective.
Au tournant des années 1970, le succès du groupe est fulgurant. There’s a Riot Goin’ On (1971) marque un virage plus sombre, lucide sur la désillusion post-hippie et la violence raciale persistante. L’album anticipe, par son ton grave et son tempo ralenti, l’émergence d’un funk introspectif, quasi crépusculaire. Prince, George Clinton, D’Angelo, Dr. Dre ou encore Public Enemy y puiseront une large part de leur inspiration.
Mais la trajectoire personnelle de Sly Stone bascule. Reclus, en proie à des addictions, il sombre progressivement dans l’oubli. Des décennies durant, l’architecte du funk moderne disparaît de la scène, au point de devenir une figure quasi mythique, entre errance et culte underground. Ce n’est qu’en 2023 qu’il refait surface avec la parution de ses mémoires, Thank You (Falettinme Be Mice Elf Agin), saluées pour leur sincérité et leur intelligence narrative. Le documentaire Sly Lives!, produit par Questlove, en a récemment ravivé l’éclat.
Le décès de Sly Stone suscite une vague d’hommages à travers le monde. Au-delà de la nostalgie, c’est une œuvre profondément actuelle que redécouvre le public. L’insistance sur l’unité dans la diversité, la critique des hiérarchies raciales, la valorisation des identités collectives et hybrides, autant de thèmes qui résonnent fortement avec les débats contemporains.
Dans un contexte international marqué par la montée des crispations identitaires et les fractures sociales, la musique de Sly Stone apparaît comme un antidote. Son funk ne prônait pas le repli, mais la fusion. Sa vision, à la fois exigeante et joyeuse, s’adressait à une humanité plurielle.
Sly Stone ne fut jamais un simple amuseur. Il fut un expérimentateur, un passeur, un prophète musical. Son influence traverse les frontières culturelles et géographiques, bien au-delà des États-Unis d’Amérique. Elle rappelle que la musique peut servir à autre chose qu’au divertissement : elle peut inventer des futurs désirables.
En 2025, dans un monde où la quête de sens se confronte à des mutations accélérées, cette disparition n’est pas une fin. C’est un rappel. Celui que certaines œuvres, et certains artistes, continuent à vivre dans la mémoire collective comme autant de repères dans la tempête.