Algérie : interdictions, contrôles judiciaires et précarité les multiples visages de la répression contre les opposants

En Algérie, la répression des voix critiques ne passe plus uniquement par la prison. Désormais, le pouvoir use d’un éventail de méthodes plus insidieuses mais tout aussi efficaces : contrôles judiciaires prolongés, interdictions de voyager, précarisation sociale, mise au ban médiatique… L’objectif est clair : museler durablement l’opposition, sans en assumer ouvertement le coût politique.

Karim Tabbou : symbole d’une liberté sous contrôle

Chaque lundi, depuis trois ans, Karim Tabbou, 53 ans, ancien porte-parole de l’Union démocratique et sociale (non autorisée), se rend dans les locaux de la sécurité intérieure à Beni-Messous, dans la banlieue ouest d’Alger, pour signer un registre de présence. Ce rituel hebdomadaire s’inscrit dans le cadre d’un contrôle judiciaire sans fin, imposé depuis son arrestation en 2019, année où il était devenu l’un des visages du Hirak — le vaste mouvement de contestation populaire qui avait mené à la chute d’Abdelaziz Bouteflika.

Bien que le code de procédure pénale algérien limite la durée du contrôle judiciaire à 12 mois maximum, Tabbou reste astreint à cette mesure indéfiniment, sans perspective de levée. En plus de cette contrainte, il est interdit de voyager, banni des médias et empêché de participer à toute réunion publique. « C’est une punition silencieuse », dénoncent ses avocats, qui parlent de volonté d’“étouffer” la dissidence par l’usure psychologique.

Une arme de répression judiciaire : le contrôle judiciaire abusif

Le cas de Tabbou n’est pas isolé. Mohcine Belabbas, ancien président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), parti d’opposition laïque, est lui aussi soumis à un contrôle judiciaire. Poursuivi dans une affaire de droit commun depuis 2020 (après la mort d’un ouvrier marocain sur son chantier), il a été condamné en 2024 à six mois de prison ferme. Dans l’attente de son procès en appel prévu pour le 24 juin – le même jour que celui de l’écrivain Boualem Sansal – il doit signer chaque jeudi un procès-verbal au tribunal de Hussein-Dey, à Alger. « C’est une forme de harcèlement judiciaire », estime Karim Tabbou.

Les militants et opposants les plus visibles vivent sous la menace constante de poursuites, même lorsque la justice ne parvient pas à prouver des infractions claires. Le contrôle judiciaire devient ainsi une mesure punitive prolongée, vidée de toute justification légale.

Partis politiques sous pression, vie publique verrouillée

Outre les individus, les formations politiques critiques du régime subissent aussi les effets d’une répression structurée. Le RCD, qui milite pour une Algérie démocratique, laïque et pluraliste, voit la majorité de ses activités interdites en dehors de son bastion kabyle. Aucune justification officielle ne leur est fournie, en violation des procédures administratives.

Depuis 2019, le parti boycotte les scrutins jugés truqués et dénués de transparence, ce qui lui vaut d’être exclu du débat public et frappé d’un embargo médiatique. D’autres partis, notamment des formations de gauche radicale, ont été carrément suspendus depuis 2021, sans procédure ni notification.

Prison, puis précarité : l’asphyxie sociale des anciens détenus

Pour les anciens détenus d’opinion, la sortie de prison ne marque pas la fin du calvaire. La précarisation devient une arme silencieuse. Abdelkrim Zeghileche, militant et entrepreneur originaire de Constantine, en est un exemple criant. Propriétaire d’une webradio indépendante, il est arrêté en 2018, ses biens confisqués, sa radio fermée. Depuis, il survit grâce à l’aide de ses proches. Ses entreprises ne lui ont jamais été restituées et il a connu plusieurs autres incarcérations depuis la chute de Bouteflika.

Autre cas : Slimane Bouhafs, militant chrétien kabyle. Réfugié en Tunisie, il y bénéficiait de l’asile politique avant d’être enlevé en 2021 et reconduit de force en Algérie. Condamné à trois ans de prison, il vit aujourd’hui dans une grande précarité. Malgré une infirmité de 80 %, il s’est vu refuser le versement de son allocation pour handicapés. Ses papiers restent confisqués, l’empêchant de retrouver un statut légal et un minimum de droits sociaux.

Ali Ghediri : la prison prolongée pour neutraliser un candidat

La stratégie d’étouffement va jusqu’à manipuler le calendrier judiciaire pour éliminer les figures politiques potentiellement gênantes. L’ancien général Ali Ghediri, candidat déclaré à l’élection présidentielle avortée de 2019, a été emprisonné pour avoir critiqué l’armée. Condamné à quatre ans pour « atteinte au moral de l’armée », il devait être libéré en juin 2023. Mais à un mois de la date prévue, un nouveau procès est organisé à la hâte : il est recondamné à deux ans de plus. L’objectif semble évident : l’empêcher de participer à l’élection présidentielle de 2024, où il aurait pu représenter une réelle alternative. Il n’a retrouvé la liberté que ce 12 juin 2025, après six ans de détention.

Un climat de peur entretenu par l’État

Ces exemples illustrent une politique de répression systémique, où la loi est instrumentalisée pour éliminer toute opposition structurée. Le pouvoir algérien, tout en maintenant une façade institutionnelle, applique une stratégie de neutralisation progressive : isolement, surveillance, harcèlement judiciaire, marginalisation économique, et invisibilisation médiatique.

En Algérie, militer pour un changement de régime ou simplement exprimer une opinion divergente devient un risque existentiel. Le silence imposé aux opposants ne repose pas seulement sur la prison, mais sur un étouffement lent, stratégique, et implacable.

L’Algérie contemporaine offre l’image d’un pouvoir qui redoute davantage la parole libre que la contestation ouverte. Alors que les institutions se figent et que la parole publique est verrouillée, les militants poursuivent leur combat dans l’ombre, au prix de leur liberté, de leur dignité et parfois de leur survie économique.

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