Journée de l’enfant africain : de Soweto 1976 à aujourd’hui, une mémoire vive et des défis toujours brûlants

Le 16 juin 1976 à Soweto, des enfants tombaient sous les balles pour avoir réclamé leur droit à apprendre dans leur langue. Presque un demi-siècle plus tard, la Journée de l’enfant africain reste un miroir cru des défis éducatifs que le continent peine encore à relever. Entre conflits, pauvreté, choix politiques contestables et débats toujours vifs sur la langue d’enseignement, l’éducation africaine demeure un combat inachevé mais vital pour l’avenir du continent.

Chaque 16 juin, l’Afrique se souvient. Cette journée de l’enfant africain trouve son origine dans l’un des épisodes les plus sombres et les plus marquants de l’histoire récente du continent : le massacre de Soweto, en Afrique du Sud, en 1976. Ce jour-là, des milliers d’élèves noirs manifestèrent contre l’imposition de l’afrikaans comme langue d’enseignement, exigée par le régime ségrégationniste de l’apartheid. La répression fut brutale : des centaines de jeunes furent tués sous les balles policières.

Au-delà de la tragédie, Soweto demeure un symbole puissant. Celui d’une jeunesse africaine qui, face à la violence d’un système d’oppression, osa revendiquer son droit à une éducation digne, accessible et respectueuse de son identité culturelle. En érigeant cette date en journée internationale, l’Union africaine a voulu rappeler l’importance cruciale de l’éducation comme levier de développement, d’émancipation et de dignité pour les peuples du continent.

Près d’un demi-siècle après Soweto, l’état de l’éducation en Afrique subsaharienne reste préoccupant. Selon les données de l’UNESCO et de l’UNICEF, plus de 98 millions d’enfants en âge scolaire n’étaient toujours pas scolarisés en Afrique en 2024. Et parmi ceux qui fréquentent l’école, beaucoup évoluent dans des conditions précaires : effectifs surchargés, pénurie d’enseignants qualifiés, manque de manuels, infrastructures délabrées, programmes inadaptés aux réalités locales.

Les causes de ces carences sont multiples et structurelles. Les conflits armés dans plusieurs régions (Sahel, Corne de l’Afrique, Grands Lacs), les déplacements massifs de populations, la pauvreté chronique de nombreux États, mais aussi des choix budgétaires insuffisants ou mal orientés, compromettent durablement la qualité et l’universalité de l’enseignement. À cela s’ajoutent des pesanteurs sociétales persistantes : mariages précoces, discriminations de genre, travail des enfants, qui continuent d’écarter des millions de jeunes du chemin de l’école.

Le combat initial des élèves de Soweto portait sur la langue d’enseignement. Ce débat reste vif aujourd’hui encore dans de nombreux pays africains. Faut-il privilégier les langues officielles héritées de la colonisation (français, anglais, portugais) ou promouvoir les langues africaines maternelles comme vecteurs premiers de transmission du savoir ? Les études convergent pourtant : l’apprentissage dans la langue maternelle favorise une meilleure compréhension, limite les échecs précoces et valorise les identités culturelles locales.

Plusieurs initiatives existent, de plus en plus de curricula bilingues ou multilingues émergent. Mais les obstacles demeurent importants : manque de formation des enseignants, standardisation difficile des langues locales, résistances politiques ou élitistes.

La Journée de l’enfant africain ne se limite pas à l’éducation. Elle pose une question plus large sur la place de la jeunesse dans les stratégies de développement du continent. Avec une population dont près de 60 % a moins de 25 ans, l’Afrique détient un potentiel démographique immense. Mais sans investissement massif dans la santé, l’éducation, l’emploi et la protection sociale des enfants et des jeunes, ce potentiel risque de devenir un facteur d’instabilité et de vulnérabilité.

Or, nombre d’observateurs dénoncent une insuffisance chronique de la volonté politique réelle à placer l’enfant et la jeunesse au cœur des priorités stratégiques africaines. Trop souvent, les promesses institutionnelles restent déconnectées des réalités vécues par les populations.

En ravivant chaque année la mémoire de Soweto, la Journée de l’enfant africain nous rappelle que l’éducation reste avant tout un combat politique et culturel. Le chemin reste long pour transformer les promesses affichées en réalisations concrètes. Mais cette mémoire collective constitue aussi une source d’énergie pour les générations actuelles, qui continuent à revendiquer leur droit à la connaissance, à la dignité et à l’espoir.

À Soweto hier, à Niamey, Bukavu, Bamako ou Douala aujourd’hui, la jeunesse africaine reste debout. Son avenir dépend de la lucidité des États et de l’engagement de l’ensemble de la communauté internationale à faire de l’éducation non un slogan, mais un levier effectif de souveraineté et de justice.

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