Imaginez que les fondations des mathématiques modernes – celles qui ont permis les ponts, les fusées et l’informatique – avaient été découvertes 1800 ans avant Newton et Leibniz… puis effacées par des moines copistes. Ce n’est pas un scénario de science-fiction, mais l’histoire vraie du « Palimpseste » d’Archimède.
Archimède, le génie en avance de deux millénaires
Archimède (287 av. J.-C. – 212 av. J.-C.) est célèbre pour ses travaux en géométrie, en mécanique et en hydrostatique. Mais ce que peu savent, c’est qu’il avait également jeté les bases de ce que nous appelons aujourd’hui les mathématiques combinatoires — les mêmes qui servent à la physique théorique, au calcul des surfaces et volumes, et même aux algorithmes qui font fonctionner les ordinateurs et l’intelligence artificielle.
Autrement dit, Archimède avait formulé, 18 siècles avant Newton et Leibniz, les principes qui auraient pu révolutionner l’humanité bien plus tôt.
Le drame : des siècles de savoir effacés
L’histoire bascule au XIIIᵉ siècle. Dans un monastère de Constantinople, des moines recopient des livres de prières. Faute de parchemin – un support rare et coûteux – ils grattent un ancien manuscrit pour réécrire par-dessus.
Ce manuscrit, on le sait aujourd’hui, contenait La Méthode des théorèmes mécaniques, l’une des œuvres majeures d’Archimède. Ces moines ne se doutaient pas qu’ils effaçaient des siècles de génie scientifique. Leur geste, banal pour l’époque, a littéralement fait perdre à l’humanité des siècles de progrès.
Ce type de recyclage de parchemin est appelé palimpseste – d’où le nom de l’ouvrage : le Palimpseste d’Archimède.
Une redécouverte miraculeuse
En 1906, le philologue danois Johan Ludvig Heiberg tombe sur ce livre de prières un peu particulier dans une bibliothèque de Constantinople. Il remarque des traces d’un autre texte sous le manuscrit religieux et parvient, après examen minutieux, à identifier Archimède comme auteur de ce texte effacé.
Mais le manuscrit disparaît ensuite pendant des décennies avant de réapparaître lors d’une vente aux enchères en 1998, où il est vendu pour 2 millions de dollars à un acheteur anonyme.
Grâce aux techniques modernes (rayons ultraviolets, infrarouges et rayons X), les chercheurs sont enfin parvenus à révéler le texte original. Résultat : une fenêtre fascinante sur la pensée d’Archimède, mais arrivée trop tard pour changer le cours de l’histoire.
Et si l’humanité avait eu 1000 ans d’avance ?
Personne ne saura jamais ce qui se serait passé si ces calculs n’avaient pas été perdus. Aurions-nous atteint l’ère spatiale au Moyen Âge ? Aurions-nous inventé les ordinateurs plusieurs siècles avant le XXᵉ siècle ?
Ce que nous savons, c’est que des trésors similaires pourraient encore dormir dans des monastères, sous des couches de textes religieux ou administratifs. Chaque découverte de palimpseste pourrait bouleverser notre compréhension de l’histoire des sciences.
Une leçon pour l’avenir
L’histoire du Palimpseste d’Archimède nous rappelle que le progrès n’est pas linéaire et qu’un simple geste — gratter un parchemin pour réécrire dessus — peut retarder l’humanité entière. C’est aussi un plaidoyer pour la préservation et la numérisation de notre patrimoine écrit, car qui sait quelles connaissances nous avons encore perdues… ou pas encore redécouvertes.