Suaire de Turin : une source médiévale révèle que le linceul était considéré comme une supercherie dès le XIVᵉ siècle

Nouvelle pièce au dossier du célèbre suaire de Turin : un texte inédit de Nicole Oresme, redécouvert et édité par des médiévistes, confirme que le linceul était déjà perçu comme une représentation et non une relique dès la fin du Moyen Âge.

Un tissu vénéré, mais contesté

Apparu dans une église de Champagne en 1354, le suaire de Turin – appelé aussi “Saint-Suaire” – intrigue depuis près de sept siècles. Pour les croyants, il s’agirait du linceul ayant recueilli l’empreinte du corps du Christ après sa crucifixion. Pourtant, les analyses au carbone 14 menées dans les années 1980 ont montré que le tissu datait du XIIIᵉ ou XIVᵉ siècle, confirmant son origine médiévale.

Le 28 août 2025, l’historien Nicolas Sarzeaud a publié dans le Journal of Medieval History une étude approfondie sur les sources médiévales relatives au suaire. Elle révèle qu’un théologien de renom, Nicole Oresme (1320-1382), en faisait déjà mention comme exemple de mystification dans un traité sur les phénomènes extraordinaires écrit peu après 1370.

Lirey : un objet controversé dès son apparition

À l’époque, le tissu était exposé à Lirey par Geoffroy II de Charny, seigneur local. Son père l’avait fait placer dans la collégiale qu’il avait fondée, mais la dévotion suscitée inquiéta l’évêque de Troyes, qui ordonna une enquête et fit confisquer l’objet.

Dans une lettre de 1389, le pape Clément VII autorisa finalement Geoffroy II à exposer le suaire, mais à une condition : il devait être présenté comme une simple “figure ou représentation” et non comme une relique. Ce statut de représentation resta en vigueur jusqu’à son acquisition par la maison de Savoie en 1453, date à partir de laquelle il gagna progressivement son prestige actuel.

Nicole Oresme, pionnier de la critique rationnelle

Le texte d’Oresme éclaire d’un jour nouveau l’affaire. Pour l’historien Nicolas Sarzeaud, “il n’y avait strictement aucun débat sur le caractère authentique de l’objet à l’époque. Pour ses propriétaires comme pour l’Église, le tissu n’était qu’une représentation, en aucun cas le linceul du Christ.”

Le théologien normand utilisait le cas de Lirey pour illustrer la manière dont certains clercs pouvaient tromper les fidèles afin de récolter des offrandes. Fait notable : il ne détaille pas le suaire, preuve que son caractère frauduleux était déjà largement connu.

Un témoignage historique précieux

Cette redécouverte a deux implications majeures. D’une part, elle confirme que le suaire n’a jamais été considéré comme une relique au XIVᵉ siècle, même par ses propriétaires. D’autre part, elle illustre le rôle central des intellectuels médiévaux dans la détection de la fraude et la défense de la vérité.

“Au Moyen Âge, l’intellectuel était vu comme l’arbitre du vrai et du faux”, rappelle Sarzeaud. “Oresme nous enseigne que l’émotion collective et l’apparence ne suffisent pas : ce sont les sources, les preuves et les procédures de vérification qui protègent contre l’erreur – une leçon toujours d’actualité.”

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