Selon une révélation du quotidien italien Il Foglio, la Garde civile espagnole a intercepté en août dernier à Ceuta dix navires militaires construits à Dubaï et destinés aux forces du maréchal Khalifa Haftar, chef de l’armée de l’Est libyen. Une opération exceptionnelle qui relance le débat sur les violations répétées de l’embargo sur les armes imposé à la Libye depuis 2011.
Des navires fabriqués à Dubaï et en route vers Benghazi
D’après les informations publiées par la presse italienne, les navires — dont plusieurs patrouilleurs rapides — avaient quitté les chantiers navals de Dubaï avant de transiter par Ceuta, enclave espagnole située sur la côte nord-africaine. Leur destination finale était le port de Benghazi, bastion des forces du maréchal Haftar.
L’interception, menée par les autorités espagnoles, s’inscrit dans le cadre du respect de l’embargo sur les armes décrété par les Nations unies après la chute de Mouammar Kadhafi.
Une saisie rare malgré des violations régulières
Cette saisie est exceptionnelle : malgré l’embargo, les Émirats arabes unis ont régulièrement fourni du matériel militaire aux troupes de Haftar ces dernières années, souvent sans être inquiétés. Plusieurs rapports onusiens ont documenté ces livraisons clandestines, qui bénéficient parfois d’une tolérance implicite de pays européens soucieux de freiner les flux migratoires partant de Libye vers la Méditerranée.
Selon Il Foglio, les navires interceptés portaient tous les lettres « TBZ », sigle de la brigade Tariq Ben Ziyad, dirigée par Saddam Haftar, fils du maréchal. Cette unité, accusée par l’ONU de crimes de guerre et de graves violations des droits humains, notamment contre des migrants, joue pourtant un rôle clé dans le contrôle des routes migratoires vers l’Europe.
L’ambiguïté européenne
L’affaire met une nouvelle fois en lumière les ambiguïtés de la politique migratoire européenne. Dans le cadre de sa stratégie d’externalisation des frontières, l’Union européenne a déjà livré des dizaines de bateaux et d’équipements aux autorités libyennes de Tripoli pour intercepter les embarcations de migrants à destination de la Grèce, de Malte ou de l’Italie.
Ainsi, tandis que Bruxelles finance et équipe les forces de l’Ouest libyen, d’autres circuits souvent soutenus par des puissances du Golfe alimentent militairement l’Est du pays, où règne Haftar.
Silence de Madrid
À ce stade, les autorités espagnoles n’ont pas confirmé les informations du Foglio. Ni le gouvernement de Madrid ni la Garde civile n’ont commenté la saisie, qui risque de raviver les tensions diplomatiques entre les États membres de l’Union européenne, partagés entre la lutte contre l’immigration clandestine et le respect du droit international.
Cette affaire illustre une fois de plus le paradoxe libyen : un pays toujours sous embargo, mais où circulent sans entrave des armes et des navires fournis par des alliés de l’Europe, au nom de la stabilité et du contrôle migratoire.