La République turque de Chypre-Nord (RTCN) a tourné une page politique majeure dimanche en élisant Tufan Erhürman, candidat de l’opposition sociale-démocrate, face au président sortant Ersin Tatar, soutenu par Recep Tayyip Erdogan. Avec 62,76 % des suffrages, contre 35,81 % pour son adversaire, Erhürman signe une victoire nette et inattendue, interprétée comme un signal fort envoyé à Ankara. Le taux de participation s’est élevé à 64,87 %, selon les chiffres officiels du Haut conseil électoral chypriote turc.
Une victoire symbolique face à Ankara
Avocat de formation, Tufan Erhürman, 55 ans, est né à Nicosie et diplômé de l’université d’Ankara. Président du Parti turc républicain (CTP), il a su rallier une majorité d’électeurs autour d’un message d’unité et d’ouverture. À l’annonce des résultats, il a déclaré :
« Il n’y a pas de perdant dans cette élection. Nous, le peuple chypriote turc, avons gagné ensemble. »
Son élection marque un revers pour le gouvernement turc, qui soutenait activement Ersin Tatar et son projet de solution à deux États pour Chypre. Erhürman, lui, prône la relance des négociations pour une réunification de l’île sous la forme d’un État fédéral, une position plus proche de celle de la communauté chypriote grecque et des Nations unies.
Appel à l’apaisement et message à Ankara
Conscient de la sensibilité du dossier, le nouveau président a tenu à rassurer Ankara :
« J’exercerai mes responsabilités, notamment en matière de politique étrangère, en concertation avec la République de Turquie. Que personne ne s’inquiète. »
Le président Recep Tayyip Erdogan a rapidement réagi, adressant ses félicitations à Erhürman tout en soulignant la « maturité démocratique » de la RTCN. Dans un message sur X, il a réaffirmé que la Turquie « continuera de défendre les droits et les intérêts souverains de la RTCN ».
Son vice-président, Cevdet Yilmaz, a tenu un discours similaire, promettant que la Turquie resterait « mère-patrie et pays garant » du territoire. Mais la victoire d’un candidat favorable au dialogue avec le Sud pourrait reconfigurer les relations entre Nicosie-Nord et Ankara.
Un territoire divisé depuis 1974
La République turque de Chypre-Nord, qui occupe moins d’un tiers de l’île, n’est reconnue que par la Turquie. Elle a proclamé son indépendance le 15 novembre 1983, neuf ans après l’intervention militaire turque de 1974, déclenchée à la suite d’un coup d’État de nationalistes chypriotes grecs soutenus par Athènes. Depuis, l’île reste divisée entre la République de Chypre (au sud), membre de l’Union européenne, et la RTCN (au nord).
Alors que les pourparlers de paix sont au point mort depuis 2017, l’élection de Tufan Erhürman pourrait redonner un souffle nouveau aux tentatives de réunification. Si sa marge de manœuvre reste limitée par la tutelle d’Ankara, son discours modéré et son profil fédéraliste pourraient marquer un tournant diplomatique dans l’histoire contemporaine de l’île méditerranéenne.