Sorties salles (France) – 22 octobre 2025 : « La disparition de Josef Mengele », un film inoubliable

Ce semaine d’exploitation salles du 22 octobre est a retenir car ce qui sera, très probablement, le meilleur film de l’année (reste à voir ce que vaudra « Avatar 3 », à partir du 17 décembre prochain) fait partie des sorties salles hexagonales et il s’agit de « La disparition de Josef Mengele ». Impossible, donc de ne pas lui consacrer notre critique de cette semaine.

Après avoir été présenté au festival de Cannes, cette année, voici enfin arrivé dans les salles obscures françaises le nouveau film du grand (et pas juste à cause de son 1,85m) réalisateur russe Kirill Serebrennikov, « La disparition de Josef Mengele », adaptation du roman-enquête du même titre écrit par le français Olivier Guez, paru en 2017. Un treizième film (pour une carrière débutée en 1998) qui porte particulièrement chance aux amoureux de cinéma, mais pas que… Par contre, si vous êtes du genre à vous draper dans un moralisme qui n’est que de la moraline, si vous êtes adepte d’une lecture et d’une vision binaires, idéologiques, de l’Histoire telles que la propagande officielle vous l’ont enseigné, si vous n’aimez pas être traitez comme des adultes assez matures pour comprendre que montrer que mêmes les pires criminels dans leur condition d’être humain « comme tout le monde » n’est pas prendre en pitié ces individus, alors, EVITEZ CE FILM… !!! Cela vous fera économiser de l’argent, gagner 2h16 de votre temps et, SURTOUT, évitez à ceux qui sont tout à l’inverse de votre non-pensée primaire d’avoir à supporter vos critiques idiotes envers cet excellent film.

Mais, avant de « rentrer dans le dur » qu’est le fond du sujet concernant « La disparition de Josef Mengele », parlons un peu de la forme de ce film. Kirill Serebrennikov nous démontre, une fois de plus, sa virtuosité de cinéaste en nous offrant un long métrage d’un somptueux noir et blanc interrompu par deux passages en couleur tout aussi magnifiquement éclairés qui correspondent aux moments se déroulants durant la deuxième guerre mondiale et, particulièrement, de sa vie à l’époque où il officiait en véritable « boucher d’Auschwitz » (qui devint son surnom) plutôt qu’en médecin, qui était son « emploi officiel », dont le premier de ces deux passages nous montrent une « journée type » d’arrivage de prisonniers à ce tristement célèbre camp d’extermination nazi, débutant par la musique jouée par un orchestre de prisonniers nains pour « accueillir » ceux qui descendent du train (en fait, afin d’éviter que ces personnes ne soient dans la véritable frayeur, en leur faisant croire qu’ils vont être bien traités alors que, pour l’immense majorité d’entre eux, la mort dans une chambre à gaz les attend quelques heures plus tard), et qui se termine par la fin de la « mise au propre » du même quai, avec le retrait des dernières valises que les arrivants ont été obligés de laisser sur place avec, dans l’intervalle, la présentation explicite et même très « crue » des pratiques « médicales » et « scientifiques » de Mengele sur deux hommes (père et fils adulte) atteints de scoliose « pris en charge pour leur handicap » dès la descente du train en question. Que cette qualité d’image véritablement très esthétique contraste volontairement ou pas avec la violence de ce qu’elle montre a pour mérite que, plutôt que de nous caresser dans le sens de l’émotion commune qui aurait voulue que tout cela soit visuellement sordide pour nous (ré)conforter dans notre haine jubilatoire et libératrice de « gens biens et bons », Kirill Serebrennikov nous provoque – nous et notre « bonne conscience » – ce qu’il fait, concrètement, très souvent et par des moyens très diversifiés, de façon totalement volontaire dans le film.

Mais ce que nous venons de dire sur le fond du film et les intentions du réalisateur ne doivent pas nous faire abandonner le traitement des aspects techniques de « La disparition de Josef Mengele » car ceux-ci contribuent, bien sûr, grandement à ce que le réalisateur veut nous dire et faire comprendre. En tout premier lieu il y a le cadrage fait de plans séquences parfois très long (celui de la fête du mariage de Josef Mengele avec sa nouvelle femme débutant dans la cuisine à quelques mètres de la très belle villa dans laquelle le couple vit et qui se termine par un plan en plongée sur la décoration au centre de la court avant de la propriété, à partir de la chambre du couple qui vient d’y monter parce que Josef que posséder sexuellement sa femme sans attendre, en passant par toutes les pièces, s’attardant sur tous les hauts dignitaires du régime nazi qui ont pu fuir l’Allemagne, dure une bonne dizaine de minutes). Et nous sont également offerts par Kirill Serebrennikov quelques plans larges d’une très grande qualité esthétique. A cela s’ajoute quelques plans de caméra en vues subjectives qui servent très bien l’implication du spectateur dans les événements. Également très intelligents ces plans où le réalisateur nous fait regarder le premier plan de l’image alors que ce qui se passe (et même « se joue ») se situe dans un recoin minuscule tout au fond du plan afin d’accentuer la « démonstration de la dissimulation » (que ce soit lorsque Josef Mengele fuit l’Argentine, tentant de se rendre à l’aéroport sans se faire remarquer, tandis que toute la presse nationale, aussi bien radiophonique qu’écrite, ne parle que de la destitution et l’exil du dictateur Juan Peron, par tentative de prise de pouvoir par l’armée que, en « scène miroir », lorsque son fils arrive anonymement au Brésil et attend qu’une voiture vienne le chercher le plus discrètement possible pour rejoindre son père). Ces scènes où le réalisateur prend le risque de perdre le spectateur sont également là pour nous faire comprendre que les choses essentielles peuvent passer inaperçues à la vue de tous, particulièrement lorsque c’est le but rechercher.

Les deux scènes « miroir » ou « en parallèles » dont nous venons de parler nous permettent d’aborder un point très important du film, à savoir : la temporalité de sa narration. Particulièrement jusqu’à ce que le fils de Josef Mengele arrive chez son père, la temporalité peut sembler chaotique et donc, elle aussi, perdre le spectateur (ce que nous pensons être tout à fait volontaire de la part de Serebrennikov puisqu’il nous parle de la disparition nécessaire pour Mengele afin d’échapper aux juifs qui le traquent – surtout les agents du Mossad, les services secrets israéliens – dans le but de le juger et le condamner à mort en Israël). Pour autant, ces passages entre différentes époques permettent de faire des parallèles afin de mieux accentuer les différences de conditions de vie dans lesquelles se trouve Josef Mengele, par exemple, en nous montrant avec quel facilité celui-ci pu revenir chez lui, au sein même de la maison familiale, dix ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, pouvant tranquillement jouir des retrouvailles avec son père et quelques proches, alors que son fils, lui, dans l’époque qui est ensuite présentée – et comme nous l’avons indiqué plus haut – est obligé d’être extrêmement discret (invisible même) lors de son voyage pour retrouver son père, environ vingt ans plus tard, ce qui en dit, en réalité, bien plus long sur la vie devenue bien moins facile et presque insouciante du criminel de guerre traqué (ce qui nous est également clairement montré pour ce qui est du cadre de vie puisque l’on passe d’une riche demeure bourgeoise de la riche et prospère Bavière natale du principal protagoniste à une maison miséreuse dans une banlieue pauvre de Sao Paulo). Et il en va du même procédé de comparaison par parallélisme deux deux époques de la vie de Josef Mengele tout au long du film (ce que cette façon de procéder par la temporalité de la narration semble avoir totalement échappé à un certain nombre de nos confrères dont nous avions lu les critiques lors de sa présentation en sélection officielle du festival du film de Cannes de cette année 2025 – mais ce sont, sûrement pas par hasard, les mêmes qui ont craché sur se film bien au chaud dans leur bon gros ego de « gens bien » et qui, d’ailleurs, n’ont pas non plus compris de quelle fête ils s’agissait dans la scène en plan séquence dont nous avons parlé plus haut).

Autre grande qualité « technique » de « La disparition de Josef Mengele est l’interprétation de ses acteurs, et tout particulièrement, de l’acteur allemande August Diehl (connu de grand public pour, entre autres « Inglourious bastards » de Tarantino ou encore « The king’s man : première mission ») dans le rôle titre qui atteint l’incarnation véritable de son personnage, y compris dans les transformations physiques que le temps et les conditions de vie toujours plus difficiles impriment sur son corps au fur et à mesure des années. Cela est d’autant plus net avec les scènes où l’acteur est entièrement nu à faire sa toilette, la première où il apparaît, en 1955, en pleine forme et en bonne santé et celle d’après le départ de son fils, vingt ans plus tard, alors qu’il est devenu un vieillard connaissant la déchéance du corps due à son âge et à sa situation de plus en plus miséreuse. D’ailleurs, autre qualité de ce film, celle qui consiste à ne pas simuler la nudité de la vie réelle en faisant porter serviette ou drap sur eux à des personnes qui, dans une situation similaire de la vraie vie, resteraient dans le plus simple appareil.

En ce qui concerne ce que semble vouloir nous dire le réalisateur, dans « La disparition de Josef Mengele », on pourrait se contenter de prendre la toute première et assez longue scène du film qui se déroule dans une salle de classe de médecine de Sao Paulo, après la mort de Josef Mengele. Là, le professeur montre à ses élèves un squelette bien nettoyé et leur indique qu’il s’agit d’un homme qui a travaillé pour ce même hôpital par le passé et qu’il s’appelle Josef Mengele, connu sous le surnom du « boucher d’Auschwitz ». Il leur précise que cet homme était particulièrement obsédé, entant que scientifique, par la gémellité (dont, justement, on trouve, parmi les étudiants, des frères jumeaux) et de leur dire que l’on peut tout savoir d’une personne rien qu’en examinant son squelette. Tout d’abord, cette scène trouvera son pendant, son écho, dans l’unique scène où l’on voit Josef Mengele officier à Auschwitz (la fameuse partie en couleur du film dont que nous avons présenté dans la première partie de notre critique) puisque, sur toutes les accusations portées contre lui, tout ce que consent le réalisateur à présenter est celle où, après que les deux hommes atteints de scoliose aient été mis nus pour être examinés et exécutés chacun d’une balle dans la tête, c’est le procédé de nettoyage de leurs squelettes afin qu’ils soient envoyés à l’institut médical de Berlin où ils pourront servir de matériel d’étude. Mengele subit donc le même sort final que ces deux hommes juifs parmi bien d’autres passés entre ses mains. Cela signifie t-il que Kirill Serebrennikov met sur le même plan moral les pratiques identiques des deux époques ? Nous est avis que non en nous basant la « signification profonde » de cette première scène du film et qui est que, tout criminel de guerre que Mengele ai pu être, il n’était bien, ni plus ni moins qu’un « homme comme tous les autres ». Son squelette est bien identique à celui de n’importe qui d’autre, y compris à ceux de ses victimes dans le camp d’extermination. Il n’a rien, dans son être le plus nu, qui puisse le différencier, le classer dans une catégorie de monstres comme le qualifient tous les moralistes. Il est un homme ordinaire (ce que, d’ailleurs, avait démontré la philosophe juive Hannah Arendt concernant Adolf Eichmann, montrant que cet homme qui était le responsable de la logistique de la solution finale – plan d’extermination complète des juifs – chargé de l’extermination raciale, était un homme banal et même rébarbatif, ennuyeux, et non pas un « être à part », y compris dans l’ignominie). Et, en réalité, c’est bien cela le plus terrible et effrayant : cette vérité nue qui est qu’aucune particularité non humaine n’existe entre ceux qui commettent des actes monstrueux et tous les autres spécimens de notre espèce, y compris ceux qui les subissent et que, de ce fait, personne ne peut se placer au-dessus du lot à se considérer une personne bonne « par essence » et que, ne pas le faire ne signifie pas pour autant que l’on va s’apitoyer sur le sort d’un tel individu parce que l’on ne serait pas capable de garder une distance avec lui. Cependant, comme l’on démontré les philosophes spécialisés en philosophie morale et théories de la Justice, Bernard Williams et, encore plus, Thomas Nagel, en réalité, par le principe de « chance morale », ce sont les contingences de l’existence qui font qu’une personne agira ou non contre « toute morale », confirmant en cela le proverbe populaire « C’est l’occasion qui fait le larron ». Alors pas étonnant que les champions de la moraline se mettent à aboyer contre « La disparition de Josef Mengele » et, surtout, contre son réalisateur. Alors que, justement, cette leçon d’humilité est, pour nous, l’une des grandes raisons qui font de ce film de Kirill Serebrennikov un excellent film.

Christian Estevez

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