Cette semaine cinématographique du 19 novembre 2025 voit la sortie du premier long métrage de la célèbre actrice Scarlett Johansson intitulé « Eleanor the great » (qui se comprend de deux manières : « La grande Eleanor » et « La géniale Eleanor »), film sur la nécessité de la transmission de l’Histoire par l’histoire de ceux qui l’ont vécue, mais aussi, en écho, sur la place toujours plus rétreindre que l’on donne aux plus âgés dans une société occidentale atteinte de cette maladie psy qu’est le jeunisme.
Voici venu sur nos grands écrans français (et, plus généralement, européens) le premier film long métrage Scarlett Johansson, actrice états-unienne d’origine danoise, qui, bien qu’ayant débuté sa carrière à l’âge de dix ans dans « North », a été révélée mondialement à l’âge de 14 ans dans « L’homme qui murmurait à l’oreille des cheveux » (1998) est devenue l’actrice la plus rentable de toute l’histoire du cinéma en jouant dans des énormes productions hollywoodiennes qu’en interprétant des personnages plus profonds pour le cinéma indépendant – dont plusieurs sous la direction de Woody Allen. Devenue, productrice en 2021 pour le film de la saga (Marvel), avec le pitoyable cinématographiquement mais gros succès de masses « Black widow », elle s’est bien rattrapée en produisant le très bon mais économiquement désastreux (un peu plus de 38 millions de dollars de recettes mondiales pour un budget de 100 millions de dollars) « Fly me to the moon » (« To the moon » en France, les distributeurs hexagonaux ayant, depuis bien longtemps, perdu tout talent pour trouver des titres français aux films étrangers). Avec un tel parcours, bien difficile de savoir si, entant que réalisatrice, Scarlett Johansson allait nous proposer quelque chose de très convenu ou, tout au contraire, vraiment novateur. La réponse, hélas, est « ni l’un ni l’autre mais les deux réunis ».
Est-ce parce que Scarlette Johansson a eu de très grosses entraves pour la production de son premier long métrage comme réalisatrice – qu’il s’agisse, comme elle le déclara elle-même lors de la projection du film au festival du cinéma de Cannes – dans le cadre de sa sélection à la compétition « L’autre regard » – qu’il lui aurait été bien plus facile d’obtenir les financements pour une suite médiocre d’un film de genre à 180 millions de dollars que pour un véritable film indépendant a tout petit budget ayant pour héroïne une femme de 94 ans », ou des pressions de ce monde devenu profondément judéophobe à cause de la propagande islamiste subies pour que la Shoah (génocide des juifs d’Europe durant la deuxième guerre mondiale qui furent extermines à plus de 66%) ne constitue plus l’intrigue, comme elle l’a déclaré dans une interview au journal britannique « The telegraph » -, quoi qu’il en soit, la réalisation est très ordinaire, très « scolaire » pour un film d’auteur. La réalisatrice semble se contenter de copier ce que son réalisateur modèle, Woody Allen, avait lui-même créé comme façon de filmer : cadrage avec un ration de 1.85 pour que les corps soient bien la priorité dans le cadre avec plans fixes et focale courte pour limiter la place des immeubles dans ledit cadre. La plus grande place est prise par les dialogues et le découpage des scènes ressemble souvent à un simple déroulement du scénario. En bref, rien d’extraordinaire de la part de madame Johansson. A l’inverse, le scenario et l’interprétation – tout particulièrement de son actrice principale, June Squibb (nommée pour l’oscar du meilleur second rôle dans « Nebraska », d’Alexender Payne (2013) qui est vraiment magistrale et lumineuse dans ce rôle – sont, eux, à la hauteur de ce que l’on est en droit d’espérer d’un bon film indépendant d’auteur et du traitement de la Shoah, plus précisément, de la nécessité de transmettre la mémoire de celle-ci par le témoignage de l’horreur qui fut vécue, aussi bien de la part des derniers rescapés toujours en vie que de celle à qui cela fut confié.
Et c’est justement sur le questionnement de « qui a le droit de témoigner » et «comment » qui est le fond du sujet de « Eleanor the great » puisque le film raconte l’histoire d’une femme de 94 ans très (Eleanor) – très vivante, sympathique et ayant un humour souvent provocateur de par son naturel -, après avoir perdu Bessie, la femme qu’elle aimait et avec qui elle vivait depuis onze, va se rendre dans un groupe de parole de rescapés du génocide subis par les juifs (que la réalisatrice a voulu tous réellement être des rescapés de la Shoah), n’apprenant le but de ce groupe de parole qu’une fois installée et qui, par ce malentendu – et tandis qu’elle se lève pour partir, est poussée par les autres participants à raconter son vécu de la Shoah, qui sont persuadés qu’elle veut s’en aller parce qu’elle a trop peur de témoigner et de souffrir de l’évocation de ces souvenirs. Eleanor, sous cette pression, va raconter ce que son amie Bessie lui a révélé la nuit avant le malaise qui l’a conduit à l’hôpital comme si cela était sa propre histoire. Elle va se retrouver d’autant plus prisonnière de cette « usurpation » qu’elle raconte tout cela de tout son cœur touchant, du coup, profondément, celui de tous ceux qui l’écoutent dont, particulièrement, Nina, (interprétée par l’actrice britannique montante Erin Kellyman) une étudiante en journaliste qui, par leur amitié toujours croissante, conduira Eleanor à renouveler ses « témoignages » à des groupes de plus en plus étendus de gens, jusqu’à une émission télévisée qui filme un événement important pour sa vie et sa foi juive. Mais, bien entendu, le fait qu’Eleanor ne soit pas réellement une rescapée de la Shoah va se découvrir et provoquer son rejet de tous comme si elle avait voulu se faire sciemment passer pour une victime et, ainsi, recevoir le respect et les attentions de la société alors qu’en réalité, elle n’a fait que prendre le « rôle » qu’on a voulu croire être le sien et son récit est toujours éclairé car il est porté par l’amour qu’elle a pour Bessie (d’ailleurs, Scarlett Johansson éclaire physiquement le visage de son actrice lorsque celle-ci commence à raconter ces (à défaut de « ses ») souvenirs, retirant cet éclairage une fois qu’Eleanor a terminé de s’exprimer). Et si Eleanor doit être reconnue coupable de quelque chose, ce n’est pas d’avoir sciemment usurpé une condition qui n’est pas la sienne pour en tirer profit, mais d’avoir eu la faiblesse (peut-être intimidée) de ne pas avoir, la première fois, dissipé le malentendu, ce qui est totalement humain et, dans son cas d’autant plus que, malgré les apparences de femme forte qu’elle donne, elle est moralement très affaiblie par la mort de la femme qu’elle aimait ainsi que par le vide qu’elle laisse à Eleanor. Concernant le « Comment » ou le « quel statut » vaut-il pour témoigner afin que s transmette la mémoire de l’horreur que fut la Shoah, mais aussi celles des millions de vies anonymes, si l’on sait d’où témoigne la personne, juive ou non, rescapée ou pas, et que cela est fait pour que le monde n’oublie pas, alors, il n’y a pas d’autres critères à avoir. Voilà pourquoi, à l’instar de la réalisatrice, nous avons tellement d’affection pour le personnage d’Eleanor et que, comme Scarlett Johansson nous trouvons que, oui, « Eleanor is great », aussi « géniale » que « grande ».
Christian Estevez