À Mendoza, capitale du vin argentin, la réforme impulsée par le président Javier Milei marque un tournant majeur dans l’histoire de la viticulture nationale. Avec la suppression de 973 normes d’un seul geste, le gouvernement entend libérer le secteur de ce qu’il considère comme un excès de bureaucratie. Mais cette simplification spectaculaire suscite à la fois enthousiasme et fortes inquiétudes.
Un changement de paradigme pour l’Institut de la viticulture
La résolution 37/2025, qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain, redéfinit profondément le rôle de l’Institut argentin de la viticulture (INV). Les inspections régulières dans les domaines et les caves disparaissent au profit d’un contrôle concentré sur le produit final, une rupture complète avec le système précédent.
Pour Carlos Tizio, président de l’INV, cette transformation était devenue nécessaire :
« Jusqu’à présent, il fallait protéger l’offre en la limitant. Aujourd’hui, on a décidé de prioriser la demande et de libérer le secteur du joug de l’État », affirme-t-il.
Ce discours accompagne une volonté d’assouplir des règles jugées jusqu’ici contraignantes, voire absurdes : dates obligatoires de commercialisation tardives, rigidité sur les degrés alcooliques, ou encore contraintes administratives lourdes à chaque transfert de produit.
Les producteurs saluent une libération du marché
Dans les régions viticoles, plusieurs acteurs applaudissent la réforme. Elle permettrait de répondre plus rapidement aux tendances de consommation, notamment pour des vins plus légers ou plus frais.
Miguel Moreno, secrétaire à l’Agriculture de la province de San Juan, insiste sur les bénéfices administratifs :
« On devait remplir de nombreux formulaires à chaque transfert et attendre le lundi car l’INV ne travaillait pas le dimanche. Les inventaires paralysaient les caves pendant une ou deux heures. »
Pour certains vignerons, cette simplification pourrait même offrir une opportunité de conquérir de nouveaux marchés à l’étranger : lancer des vins plus tôt dans l’année, à l’image du modèle du beaujolais nouveau, afin de profiter des saisons de consommation dans l’hémisphère nord.
La traçabilité au cœur des inquiétudes
Derrière cet accueil globalement positif, un point majeur divise fortement la filière : le caractère désormais facultatif du Certificat d’entrée du raisin (CIU) et de la déclaration annuelle d’élaboration (CEC 05).
Ces documents constituaient jusqu’ici la pièce maîtresse de la traçabilité argentine, garantissant l’origine exacte de chaque lot et contrôlant les volumes produits. Leur disparition obligatoire alarme les coopératives et plusieurs grandes maisons.
Fabián Ruggieri, président de l’Association des coopératives viticoles (ACOVI), résume la position du secteur :
« Nous sommes en faveur de la dérogation de 970 des 973 règles concernées. Cependant, nous signalons avec insistance que les trois normes qui retiennent notre attention sont très conflictuelles. »
L’enjeu est clair : sans CIU obligatoire, rien n’empêcherait qu’un malbec issu d’une zone moins prestigieuse soit vendu comme provenant de Gualtallary, terroir recherché de la vallée d’Uco. Une fraude potentielle qui mettrait en péril des années de travail pour valoriser les terroirs argentins.
Une filière partagée entre modernisation et crainte de dérives
Plusieurs professionnels appellent à la prudence. Pour eux, la simplification est nécessaire, mais ne doit pas affaiblir l’identité du vin argentin.
José Alberto Zuccardi, figure majeure du vin et président de l’Union vitivinicole argentine (UVA), nuance :
« Le désaccord ne concerne pas la nécessité de simplifier. Mais cette dérégulation montre une méconnaissance de certaines autorités nationales des mécanismes de la viticulture. Ils ne semblent pas conscients que le vin est un produit à forte identité. Ce n’est pas une matière première ordinaire. »
L’avenir de la réforme dépendra désormais de son application par les provinces, qui devront assumer une part plus importante du contrôle. En parallèle, des recours judiciaires ont déjà été déposés pour tenter de freiner ou d’amender les mesures les plus sensibles.
Conclusion
La dérégulation massive lancée par Javier Milei ouvre une nouvelle ère pour la viticulture argentine : plus de liberté économique, moins de contraintes administratives, mais également un risque accru pour la traçabilité et la protection des terroirs.
Entre promesse de dynamisme commercial et crainte d’une perte d’identité, la filière viticole se trouve à un moment charnière dont les conséquences se feront sentir bien au-delà des vignobles de Mendoza.