En ex-Allemagne de l’Est, une ville s’oppose au réarmement face à la Russie, qu’elle ne considère pas comme un ennemi

À Lübben, petite ville de l’ex-Allemagne de l’Est, des habitants se mobilisent contre la réouverture d’une usine de munitions, symbolisant leur opposition à la volonté du gouvernement allemand de réarmer le pays face à la Russie.

Dans cette commune du Brandebourg, une pancarte représentant un soldat tenant un camarade inerte a été installée par l’initiative citoyenne Notre Lübben. Le collectif dénonce la production de composants de munitions dans une usine rachetée en partie par le groupe Diehl, dont la production devrait atteindre son rythme de croisière d’ici 2027. Au printemps, l’association avait déjà collecté environ 1.600 signatures contre ce projet.

Pour Nancy Schendlinger, fondatrice de Notre Lübben, 80 % des habitants s’opposent à ce réarmement voulu par le chancelier Friedrich Merz, qui ambitionne de faire de la Bundeswehr la plus grande armée conventionnelle d’Europe. « Nous avons déjà vécu cela », rappelle-t-elle, évoquant la spirale militarisation à l’Est et à l’Ouest pendant la Guerre froide. « Je ne veux pas voir mon fils avec une arme », ajoute-t-elle.

Le mouvement affiche par ailleurs une proximité idéologique avec l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), parti antimigrants favorable à la détente avec Moscou. Lors des dernières législatives, l’AfD avait recueilli 39 % des voix à Lübben, loin devant la CDU de M. Merz.

Pour le maire Jens Richter, issu de la CDU, l’usine représente une opportunité économique avec la création de 200 emplois dans une région encore marquée par la désindustrialisation des années 1990. « La situation géopolitique a considérablement changé », souligne-t-il, rappelant la guerre en Ukraine.

Du côté de l’AfD, la ligne est différente : « Jamais la Russie ne va attaquer l’Europe ou l’Allemagne », estime Marko Schmidt, représentant local, qui n’oppose de légitimité à la production d’armes que pour la défense nationale.

Historiquement, l’usine de Lübben a construit du matériel pour l’armée nazie, puis des cartouches pour le régime communiste. Après la réunification, elle détruisait les munitions non utilisées. Aujourd’hui, les habitants interrogés jugent que relancer la production est un non-sens. « La Russie n’est pas notre ennemie ! », s’exclame Manuela Noack, infirmière de 62 ans. « Nous, les Allemands, devrions la fermer. Nous avons causé deux guerres mondiales, on devrait être dans la retenue », ajoute Thomas Fischer, retraité de l’armée de l’air.

Pour Tobias Jaeck, sociologue à l’université de Halle, le passé communiste de l’Est explique que la Russie est moins perçue comme un adversaire que dans l’Ouest allemand. Les habitants de Lübben semblent vouloir privilégier la retenue et la mémoire historique à une politique de réarmement jugée excessive.

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