Le dernier classement mondial sur la part de diplômés de l’enseignement supérieur dans la population active révèle des écarts persistants et structurants. Derrière les performances des locomotives mondiales, l’enjeu n’est plus seulement de mesurer, mais de réduire ces disparités dans un monde où la connaissance conditionne l’avenir des nations.
Le savoir est devenu, plus que jamais, un déterminant central de puissance. Un classement récemment publié par CBRE Research et relayé par divers médias internationaux brosse un tableau contrasté des nations selon la part de leur population active (25-64 ans) ayant atteint un niveau d’éducation universitaire. Au sommet, trois pays s’imposent avec des taux remarquables : l’Irlande (52 %), la Suisse (46 %) et Singapour (45 %). Derrière eux, une poignée de pays développés parviennent à maintenir des niveaux élevés, tandis qu’une grande partie du monde demeure à la traîne.
L’Amérique du Nord confirme sa position historique de forteresse éducative, avec un Canada qui dépasse les 60 % de diplômés, et des États-Unis d’Amérique qui, malgré les débats internes sur la qualité de l’éducation et son coût, comptent plus de 78 millions de diplômés universitaires. De son côté, l’Asie aligne des modèles performants, comme Singapour, mais aussi la Corée du Sud et le Japon, qui démontrent qu’une politique volontariste à long terme peut transformer le capital humain en atout géopolitique majeur.
L’Europe du Nord, avec la Finlande, les Pays-Bas ou le Danemark, illustre une autre voie : celle d’une éducation inclusive, égalitaire et accessible, où l’enseignement supérieur est étroitement articulé à la formation continue et à la recherche appliquée. L’Estonie, souvent citée comme modèle émergent, consacre ainsi plus de 6 % de son PIB à l’éducation, pariant sur une montée progressive mais solide en compétences.
Si ces succès nationaux sont notables, ils mettent en lumière, par contraste, des fossés préoccupants ailleurs. De nombreux pays africains, latino-américains et d’Asie du Sud continuent d’afficher des taux de diplômation très faibles. Cette réalité n’est pas uniquement le reflet d’un manque de ressources financières : elle traduit aussi des problématiques structurelles, telles que la faiblesse des infrastructures éducatives, l’instabilité politique, les conflits armés, les inégalités sociales persistantes, ainsi que la fuite des cerveaux.
Le risque est double. D’abord, celui de voir une partie croissante de la population mondiale durablement exclue de la compétition mondiale des compétences. Ensuite, celui d’un approfondissement du clivage géopolitique et économique entre zones hautement qualifiées et zones en stagnation éducative, compromettant les ambitions globales de justice sociale et de développement équitable.
Face à cette fracture mondiale de l’éducation supérieure, la réponse ne peut se limiter à la seule comparaison de chiffres. Trois axes stratégiques émergent :
- Investir massivement dans l’accès universel à l’éducation de qualité dès le primaire, car c’est en amont que se joue la future capacité des étudiants à intégrer des cursus supérieurs.
- Renforcer les partenariats éducatifs transnationaux, permettant aux pays en développement de bénéficier de transferts de compétences, de technologies pédagogiques et de programmes de mobilité des enseignants et des étudiants.
- Réinventer l’enseignement supérieur pour le rendre plus accessible, modulaire et adapté aux réalités locales, notamment par le biais de l’enseignement en ligne, des campus satellites et de la formation professionnelle valorisée.
Au XXIe siècle, la puissance des nations ne se mesurera pas uniquement en termes de PIB ou de capacités militaires, mais aussi et peut-être surtout en fonction de la qualité et de la densité de leur capital humain. Loin d’être une simple compétition de performances statistiques, la question éducative mondiale soulève un défi civilisationnel : celui de donner à chaque peuple les moyens d’exister pleinement dans un monde globalisé, sans reproduire indéfiniment les inégalités héritées.
Si certains pays montrent la voie, l’urgence collective demeure : faire de la réduction de l’écart éducatif un projet international partagé. Car le savoir, en définitive, ne devrait pas être un privilège géographique, mais un bien commun de l’humanité.