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L’ASEAN se détourne des États-Unis pour renforcer ses liens avec la Chine et le Golfe

Les 26 et 27 mai 2025, les dirigeants de l’Asie du Sud-Est se sont réunis à Kuala Lumpur pour le 46e sommet de l’ASEAN. Un rendez-vous crucial marqué par un virage stratégique : face aux nouvelles barrières tarifaires imposées par l’administration Trump, l’organisation régionale redéfinit ses alliances économiques. Résolument tournée vers la Chine et les monarchies du Golfe, l’ASEAN amorce une recomposition des équilibres géopolitiques régionaux.

Le protectionnisme américain pousse l’ASEAN à se réorienter

Les droits de douane instaurés unilatéralement par Washington ont provoqué une onde de choc au sein des économies d’Asie du Sud-Est. Dans un projet de déclaration commune, les dirigeants de l’ASEAN expriment leur « profonde inquiétude » face à ces mesures jugées hostiles et nuisibles au commerce régional. Pour Khoo Ying Hooi, universitaire malaisienne, cette situation traduit « une diplomatie de multi-alignement » : les pays de l’ASEAN cherchent à diversifier leurs partenariats, dans un contexte de repli américain.

Alors que le Premier ministre malaisien Anwar Ibrahim a adressé une demande officielle à Donald Trump pour la tenue d’un sommet ASEAN–États-Unis, la Maison-Blanche n’a toujours pas donné suite. Ce silence contraste avec l’empressement de la Chine, dont le Premier ministre Li Qiang multiplie les rencontres en Asie du Sud-Est pour dénoncer « l’unilatéralisme » et défendre un ordre économique international fondé sur le multilatéralisme.

Les monarchies du Golfe, nouveaux partenaires stratégiques

La participation à ce sommet des représentants du Conseil de coopération du Golfe (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Qatar, Oman, Koweït et Bahreïn) marque un tournant. Pour l’ASEAN, il s’agit non seulement de compenser les pertes commerciales causées par les politiques américaines, mais aussi de s’arrimer à des partenaires à la fois puissants économiquement et politiquement.

Le rapprochement avec le Golfe répond à une logique d’urgence, mais aussi à une stratégie de long terme : intégration énergétique, investissements croisés, coopération technologique et infrastructurelle. « Ce n’est pas juste une séance photo », avertit Khoo Ying Hooi. C’est bien une reconfiguration des alliances internationales à laquelle nous assistons.

Une expansion régionale en cours : le Timor oriental bientôt membre

Parallèlement à ce repositionnement géopolitique, l’ASEAN accélère son processus d’élargissement. La candidature du Timor oriental, longtemps en attente, reçoit un soutien unanime des États membres. Le Premier ministre timorais Xanana Gusmao s’est dit « incroyablement soutenu » après ses rencontres bilatérales, et une adhésion officielle du Timor est désormais envisagée pour octobre 2025.

Le ministre malaisien des Affaires étrangères a salué les « progrès significatifs » du Timor dans la mise en œuvre de sa feuille de route vers l’intégration régionale.

La Birmanie sous pression diplomatique

Sur le volet politique, la crise birmane reste un dossier brûlant. L’ASEAN continue de maintenir la pression sur la junte militaire au pouvoir depuis le coup d’État de 2021. Elle exige le respect du « consensus en cinq points » auquel le régime avait pourtant souscrit. Le ministre Mohamad Hasan a notamment appelé à prolonger le cessez-le-feu en vigueur depuis le séisme de mars dernier, faute de quoi la junte risquerait un isolement diplomatique accru.

Un nouveau chapitre s’ouvre

À l’issue de ce sommet, l’ASEAN apparaît comme un acteur de plus en plus autonome, soucieux de préserver ses intérêts économiques dans un monde en pleine mutation. Si les États-Unis tardent à réengager un dialogue constructif, d’autres puissances comme la Chine et les pays du Golfe semblent prêts à combler ce vide.

Anwar Ibrahim résume le moment : « Une transition dans l’ordre géopolitique est en cours ». Dans cette transition, l’ASEAN entend bien peser de tout son poids.