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Léa Massari, disparition d’une icône franco-italienne du cinéma d’auteur

Léa Massari, l’une des plus grandes comédiennes du cinéma européen d’après-guerre, s’est éteinte à Paris à l’âge de 91 ans. Actrice italienne de naissance mais profondément enracinée dans la culture française, elle laisse derrière elle une œuvre rare, exigeante et marquée par la modernité cinématographique des années 1960 et 1970

Née à Rome en 1933 sous le nom d’Anna Maria Massetani, elle avait adopté très tôt le pseudonyme de « Léa Massari » en hommage à un amour disparu. D’abord étudiante en architecture à Lausanne, elle bifurque vers le cinéma au tournant des années 1950. Sa trajectoire artistique prendra rapidement une dimension continentale.

Sa percée internationale survient en 1960 avec L’Avventura de Michelangelo Antonioni, où elle incarne Anna, dont la disparition soudaine au cours d’une croisière méditerranéenne sert de point de départ à une méditation esthétique sur l’absence, le désir et le vide affectif. Ce rôle la fixe dans l’imaginaire du public comme une figure du mystère, alliant beauté grave et modernité émotionnelle.

Si elle tourne avec de grands noms du cinéma italien (Francesco Rosi, Mauro Bolognini, Luigi Comencini), c’est en Franche que Léa Massari trouve une reconnaissance profonde. Elle incarne la mère dans Les choses de la vie (1970) de Claude Sautet, face à Michel Piccoli et Romy Schneider un rôle qui restera parmi les plus marquants de sa carrière.

On la retrouvera aussi dans Clair de femme (1979) de Costa-Gavras, ou encore dans La menace (1977) d’Alain Corneau. Réputée pour son exigence dans le choix des rôles, elle refuse les compromissions commerciales et privilégie les films d’auteur et les réalisateurs à la recherche d’une langue cinématographique neuve.

Discrète, peu encline aux apparitions médiatiques, Léa Massari incarne un type de célébrité aujourd’hui en voie de disparition : celle fondée non sur l’exposition permanente, mais sur la force d’un regard, la profondeur d’un silence, l’authenticité d’un jeu. Elle n’a jamais cherché à être une star au sens populaire du terme. Son art était intérieur, tendu vers le tragique du réel.

Elle recevra la Légion d’honneur en 2003, reconnaissance française de son apport artistique. Elle vivait à Paris depuis les années 1970, et avait fait du français une langue d’expression aussi naturelle que sa langue maternelle.

Dans un paysage culturel aujourd’hui saturé de flux rapides et d’émotions simplifiées, la filmographie de Léa Massari demeure un repère pour ceux qui cherchent un cinéma de profondeur, de lenteur et d’ambiguïté. Ses choix artistiques, marqués par une fidélité aux valeurs de rigueur et d’intégrité, résonnent encore dans les œuvres de nombreux cinéastes contemporains.

Avec la disparition de Léa Massari, le cinéma européen perd une figure de la transition entre le classicisme d’après-guerre et la modernité radicale des années 1960-70. Mais son image, entre douleur contenue et élégance lumineuse, continue d’habiter les mémoires de celles et ceux qui refusent de voir dans l’art une simple distraction.