Ce 30 juin, Journée mondiale des réseaux sociaux, les appels à une utilisation plus responsable se multiplient. Mais derrière les mots d’ordre sur la lutte contre la désinformation et la vérification des sources, une autre réalité s’impose : dans un monde polarisé, chaque camp prétend incarner la vérité et accuse l’autre de manipuler les faits. Les réseaux deviennent le reflet d’un monde qui se parle de moins en moins.
Ce 30 juin, la planète célèbre la Journée mondiale des réseaux sociaux. L’événement, instauré en 2010 pour valoriser le rôle des plateformes numériques dans la communication humaine, donne chaque année lieu à une pluie d’initiatives : publications de bonnes pratiques, campagnes de sensibilisation, témoignages sur les usages positifs du numérique. Les mots-clés dominants sont connus : vérifier les sources, favoriser l’empathie, bannir la désinformation. Une injonction apparemment simple, mais dont l’application se heurte à une réalité plus trouble.
À l’heure où 4,9 milliards d’êtres humains utilisent les réseaux sociaux, ces derniers ne sont plus seulement des outils d’interaction. Ils sont devenus des espaces de confrontation idéologique permanente, où chaque camp affirme détenir la vérité et rejette celle de l’adversaire comme fake news.
Des guerres aux élections, des débats sur les vaccins, des politiques migratoires ou des modèles économiques, chaque courant idéologique qu’il soit gouvernemental, militant, religieux, libéral, souverainiste ou technocratique dispose de ses propres récits, ses sources, ses chiffres, ses experts. Et affirme que les autres mentent. La désinformation devient alors un mot-valise, un outil polémique davantage qu’un critère rigoureux.
Dans ce climat, la parole partagée s’efface. Jadis, les sociétés reposaient sur quelques piliers d’information considérés comme légitimes : grands journaux, institutions scientifiques, voix modérées. Aujourd’hui, la parole éclatée remplace la parole commune. Des micro-communautés se forment autour de certitudes, validées par des algorithmes qui favorisent la polarisation et l’émotion.
Le doute devient suspect, la nuance soupçonnée de compromission. Le réseau social, censé relier, fragmente. Et le citoyen devient de plus en plus un consommateur de récits partisans.
Les grandes plateformes comme Facebook, X (anciennement Twitter), Instagram ou TikTok ont certes mis en place des mécanismes de signalement, des « labels de fiabilité », voire des coopérations avec des agences de vérification. Mais dans les faits, elles continuent de privilégier ce qui provoque, divise ou scandalise, car ces contenus génèrent plus d’engagement donc de revenus.
L’architecture des réseaux favorise mécaniquement la diffusion de messages courts, simplistes, souvent binaires, là où les enjeux du monde réel exigent du temps, de la complexité et du recul. Cette tension structurelle rend illusoire toute régulation purement technique de la « vérité ».
La réponse ne peut venir uniquement des usagers. S’il est juste d’encourager l’esprit critique, il faut aussi interroger les logiques de pouvoir, de profit et d’influence qui façonnent l’espace numérique mondial. Qui décide de ce qui est acceptable ? Sur quelles bases ? Selon quels intérêts ?
De Washington à Pékin, de Paris à Téhéran, les États eux-mêmes font des réseaux sociaux des instruments de guerre culturelle et politique. La désinformation, loin d’être un accident, est parfois un outil stratégique.
En ce 30 juin, Journée mondiale des réseaux sociaux, il est salutaire de rappeler l’importance d’un usage plus réfléchi, plus respectueux, plus humain de ces outils. Mais il faut aussi refuser les illusions confortables. Dire que l’on va « bannir la désinformation » n’a de sens que si l’on accepte de remettre en cause les logiques globales de propagande, de manipulation et de simplification qui traversent nos sociétés.
Pour La Boussole – infos, il ne s’agit pas de choisir un camp, mais de refuser les certitudes faciles, d’éclairer sans imposer, et de défendre une information contextualisée, documentée et rigoureuse. Parce qu’un réseau social sans vérité commune ne relie rien. Il isole, il oppose, et il affaiblit notre capacité à comprendre ensemble.