La Suède pourrait tourner une page majeure de son histoire sociale. Une commission gouvernementale vient de recommander l’arrêt total des adoptions internationales vers le pays. Une mesure radicale, mais motivée par la gravité des faits révélés : durant plusieurs décennies, des enfants ont été adoptés en dehors de tout cadre éthique, voire légal.
Le rapport, commandé par le gouvernement suédois, dresse un constat accablant. Depuis les années 1970, des centaines d’enfants originaires de divers pays Sri Lanka, Colombie, Pologne, Chine notamment ont été transférés vers la Suède dans des conditions opaques, souvent inacceptables. Certains ont été déclarés morts à tort. D’autres ont été confiés à l’adoption sans que leurs parents biologiques aient donné un consentement libre et éclairé. Dans d’autres cas encore, une personne non habilitée a pris cette décision à la place des parents.
« Des lacunes importantes et systémiques » : c’est ainsi qu’Anna Singer, rapporteure spéciale de la commission, qualifie la gestion des adoptions en Suède. Le rapport pointe de nombreuses anomalies dans les documents d’origine des enfants : erreurs de date de naissance, identités parentales falsifiées, circonstances de l’abandon maquillées.
Au-delà des fautes documentaires, ce sont des cas avérés de trafic d’enfants qui sont mis au jour, sur l’ensemble des décennies couvertes par l’enquête. La majorité de ces cas concerne des adoptions privées un mode opératoire qui a longtemps échappé au contrôle des autorités, favorisant les dérives.
L’implication indirecte, mais indéniable, des autorités suédoises ajoute à la gravité du constat. Car l’enquête révèle que le gouvernement était informé de ces irrégularités « très tôt ». Pourtant, la priorité donnée à la facilitation des adoptions, combinée à la délégation de cette mission à des agences privées, a favorisé une forme de complaisance. Ces organisations, rémunérées en fonction du nombre d’enfants adoptés, avaient tout intérêt à maximiser les flux.
Aujourd’hui, quelque 60 000 personnes adoptées à l’international vivent en Suède. Beaucoup découvrent avec stupeur que leur histoire personnelle est peut-être marquée par des abus. Pour elles, ce rapport constitue à la fois une révélation douloureuse et une possible porte ouverte à la reconnaissance, voire à la réparation.
Si la proposition d’interdiction totale est adoptée, la Suède deviendrait l’un des premiers pays d’Europe occidentale à mettre un terme complet aux adoptions internationales. Une rupture radicale, certes, mais qui interroge l’ensemble de la communauté internationale : comment garantir l’éthique dans les adoptions transfrontalières ? Peut-on continuer à confier des enfants vulnérables à des circuits marqués par l’opacité, les conflits d’intérêts, voire la corruption ?
Cette affaire suédoise dépasse largement les frontières du royaume scandinave. Elle met en lumière un déséquilibre structurel dans le système mondial des adoptions, souvent façonné par des logiques inégalitaires entre pays du Nord et pays du Sud, entre États riches en demande d’enfants et États pauvres où la misère familiale sert parfois de moteur à l’« offre ».
La question posée est donc double : comment réparer les injustices du passé, et surtout, comment prévenir celles de demain ?
Le débat qui s’ouvre en Suède aura, à n’en pas douter, une portée internationale. Il interpelle les autres pays pratiquant l’adoption internationale, les obligeant à réexaminer leurs pratiques à la lumière de ces révélations. À l’heure où les droits des enfants et la souveraineté familiale sont de plus en plus invoqués sur la scène mondiale, l’exemple suédois pourrait bien inaugurer un tournant majeur.