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Le « canal sans eau » du Mexique peut-il faire de l’ombre à celui du Panama ?

Début avril 2025, le Mexique célébrait fièrement une étape symbolique : sa première opération de transport de marchandises via le « Corridor interocéanique de l’isthme de Tehuantepec » (CIIT). Un événement salué par de nombreux médias nationaux, qui y voient une alternative prometteuse au mythique canal de Panama. Surnommé déjà par certains le « canal mexicain », ce nouveau projet a de quoi attirer l’attention… même sans une seule goutte d’eau.

Un projet ambitieux, mais modeste

Le CIIT est loin de ressembler à son homologue panaméen. Il ne s’agit pas d’un canal maritime, mais d’un corridor ferroviaire de 302 kilomètres reliant le port de Coatzacoalcos, sur le golfe du Mexique, à celui de Salina Cruz, sur la côte Pacifique. L’idée est simple : permettre aux marchandises de traverser le Mexique par voie terrestre, sans devoir contourner l’Amérique latine par bateau.

Les premiers tests ont été effectués dès juillet 2024, mais c’est en avril 2025 qu’une opération d’envergure a véritablement lancé le projet : deux cargaisons de 900 voitures de la marque sud-coréenne Hyundai ont traversé le pays par ce nouveau corridor.

Selon le journaliste spécialiste du commerce international, Noi Mahoney, le corridor peut accueillir jusqu’à 1,4 million de conteneurs standards (20 pieds) par an. En comparaison, le canal de Panama en traite près de 8 millions, et les navires qui le traversent transportent entre 12 000 et 15 000 conteneurs chacun, contre 350 à 425 pour un train.

Complémentarité plus que concurrence

Sur le papier, le CIIT ne fait donc pas le poids face au canal de Panama. D’autant plus que son fonctionnement impose une logistique plus complexe : il faut disposer de navires et de ports fonctionnels des deux côtés du Mexique, en plus du transport ferroviaire au centre.

Mais ce n’est pas le but, selon la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum, qui insiste sur un rôle complémentaire plutôt que concurrent. Le corridor interocéanique peut offrir une alternative intéressante pour désengorger le canal panaméen, aujourd’hui saturé. Et les premiers chiffres sont parlants : le transport des véhicules Hyundai a pris une semaine, contre une douzaine de jours via le canal.

Noi Mahoney souligne aussi que les entreprises pourraient tirer parti de cette nouvelle route plus rapide et flexible, surtout dans un contexte mondial marqué par des tensions commerciales et des perturbations logistiques.

Une impulsion pour le développement régional

Au-delà des enjeux géostratégiques, le Mexique voit aussi dans ce projet une opportunité de développement économique pour le sud du pays, longtemps marginalisé. L’objectif est clair : attirer les investissements, créer des emplois, moderniser les infrastructures, et réduire les inégalités régionales.

Des zones économiques spéciales sont déjà en cours d’aménagement le long du corridor, avec l’ambition de transformer cette région rurale en véritable hub industriel et logistique.

Le canal de Panama sur la défensive ?

Le canal de Panama conserve pour l’instant une avance confortable en termes de capacité et d’infrastructure. Mais la multiplication des projets alternatifs pourrait, à terme, fragiliser son quasi-monopole sur le commerce maritime interocéanique.

Depuis 2013, le Nicaragua rêve de construire son propre canal, bien que le projet soit suspendu. Le Honduras et la Colombie explorent aussi des solutions similaires, notamment des corridors terrestres – surnommés eux aussi « canaux secs ».

Dans un monde où les chaînes d’approvisionnement cherchent à se diversifier, le Panama ne peut plus se reposer sur ses lauriers. Si le CIIT reste aujourd’hui un projet modeste, il pourrait bien, à moyen terme, participer à redessiner la carte des routes commerciales mondiales.