La militante Jacqueline Jencquel a mis fin à ses jours, fin mars. Âgée de 78 ans, celle qui défendait la légalisation du suicide assisté en France s’était fait connaître en 2018, quand elle avait annoncé vouloir mourir bien que ne souffrant d’aucune maladie la condamnant.
Jacqueline Jencquel voulait décider elle-même de la fin de sa vie. Elle n’avait pas de maladie grave. Seulement, elle ne souhaitait pas vieillir. Fin mars, à 78 ans, elle s’est donné la mort, a écrit le journal français « Libération ». Il y a quelques années, elle avait repoussé la date de son décès programmé, prévu en Suisse en janvier 2020, en raison de la naissance de son petit-fils. Elle avait toujours rappeler qu’elle militait pour l’Interruption Volontaire de Vieillesse
Sur son blog, hébergé sur le site d’information suisse, « Le Temps », la militante a publié un dernier article mardi 29 mars. « C’est une chose au fond que je ne puis comprendre, cette peur de mourir que les gens ont en eux », introduit-elle son texte, citant le poète Aragon. « Et pourtant, au moment de passer à l’acte, j’ai peur », écrit-elle, avant de détailler la manière dont elle aimerait quitter la vie : « Je veux mourir chez moi, entourée de mes livres, de mes photos et de mes objets familiers. » La militante déplorait l’existence de la « loi idiote » de non-assistance à personne en danger, l’obligeant à mourir seule.
« Je ne veux pas devenir plus vieille », expliquait encore cette mère de trois enfants. En 2018, elle avait annoncé auprès de « Konbini » vouloir se donner la mort en janvier 2020 « parce qu’il faut bien fixer une date à un moment ou à un autre, si on veut partir comme on veut partir », justifiait-elle.
Elle ne souffrait d’aucune pathologie la condamnant, mais son dossier médical était suffisamment étayé pour qu’elle puisse mourir selon la loi suisse. Ce qui motivait son choix? La peur de devenir dépendante. S’imaginer dans un Ehpad lui faisait horreur. « Je n’ai pas mis des enfants au monde pour les faire chier », expliquait-elle. Pleine d’humour et d’autodérision, elle ajoutait, sur « Konbini », ne pas avoir « envie de faire l’amour avec un mec qui a un bide énorme ».
Finalement, elle ne mettra pas fin à ses jours en janvier 2020, ce qui fera dire à ses détracteurs que ses nombreuses apparitions médiatiques n’étaient qu’une opération de communication. Invitée sur le plateau de BFMTV en juin 2020, elle justifiait ce retard pris avec la mort: « j’attends encore la naissance d’un petit-fils ». Dans son dernier billet de blog, on apprend que ce dernier est finalement né. « J’aurais pu le faire il y a deux ans, comme prévu. Mais la naissance de mon petit-fils le jour de mon anniversaire a été comme un moment volé au destin ».
Militante au sein de l’ADMD
Jacqueline Jencquel est née en 1943 à Tien-Tsien, en Chine. Ses parents étaient russes, son père avocat, comme on l’apprend dans le portrait que lui a consacré « Libération ». Après des études à la Sorbonne, elle devient professeure de français et d’anglais. Elle épouse ensuite un homme d’affaires allemand, déménage à Caracas (capitale du Venezuela – ndlr) . « J’ai tout fait, j’ai voyagé dans le monde entier, j’ai fait trois garçons », rappelait-elle dans les colonnes du quotidien.
Cultivée et bourgeoise, elle résidait dans un appartement situé rue du Bac, dans le très huppé sixième arrondissement parisien, et aimait ponctuer ses interventions de citations littéraires. La pandémie de Covid-19 avait remis en perspective ses rapports avec ses proches.
« Nous n’avons pas une vie de famille très proche. Aujourd’hui, dans le monde actuel, les gens habitent où ils peuvent pour gagner leur vie. Après le Covid, qu’est-ce que ça change que je sois là ou pas? », s’était-elle interrogée sur le plateau de BFMTV. Plus récemment, elle s’était penchée sur la guerre en Ukraine sur son blog. « Je n‘ai plus envie de parler de moi car que valent les atermoiements d‘une vieille bourge privilégiée par rapport aux femmes et aux enfants obligés de fuir leur pays? La mort est là, elle est palpable », disait-elle. Finalement, Jacqueline Jencquel aura mis fin à ses jours sans avoir vu la cause pour laquelle elle a longtemps milité au sein de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) devenir légale en France.
Actuellement, dans l’Hexagone, c’est la loi Claeys-Léonetti de 2016 qui encadre la fin de vie des personnes gravement malades, autorisant notamment le droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès lorsque le pronostic vital est engagé à court terme. En avril dernier, une loi ouvrant un droit à une « assistance médicalisée active à mourir » avait bien été discutée à l’Assemblée nationale, mais n’avait pas pu être votée du fait de l’obstruction parlementaire provoquée par cinq députés Les Républicains (droite), qui avaient déposé 2300 amendements.
Emmanuel Macron, lors de la présentation de son programme le 17 mars, s’était dit favorable à une « convention citoyenne » pour trancher le débat sur la fin de vie. Et comme l’a révélé la radio « Europe 1 », lors de son déplacement à Fouras (Charente-Maritime) le 31 mars, le président-candidat s’est dit personnellement « favorable à ce que l’on évolue vers le modèle belge », caractérisé par la dépénalisation de l’euthanasie. À la différence du suicide assisté, où la personne qui souhaite mourir déclenche sa mort, c’est le médecin qui a la charge de mettre fin aux jours du patient lors d’une euthanasie.
À « Libération », en 2020, Jacqueline Jencquel rappelait: « je n’ai aucune envie de crever! Au même titre qu’une femme qui avorte ne le fait jamais de gaieté de cœur. Je voudrais qu’un choix existe ».
Joseph Kouamé