L’excavation d’anciennes dents d’hominidés, près d’artefacts en pierre, vieux de 3 millions d’années, remet en question l’idée que seuls les représentants du genre Homo pourraient fabriquer de tels outils.
Les preuves suggèrent que les paranthropes (Paranthropus), cousins des humains, utilisaient des outils. Jusque-là, les scientifiques pensaient qu’ils n’utilisaient que leurs dents et leurs mâchoires pour manger.
Sur un site fouilles du Sud-Ouest du Kenya, des archéologues ont découvert des outils caractéristiques en pierre qui pourraient avoir été fabriqués il y a trois millions d’années et, de fait, être les plus anciens de ce type à avoir jamais été mis au jour. Plus surprenant encore, les outils évoqués ont été découverts à proximité de fossiles de paranthropes (Paranthropus), des hominidés qui ne sont pas les ancêtres de l’homme moderne (Homo sapiens sapiens – Cro-Magnon et Neandertal).
Si l’apparition d’un tel attirail était jusqu’à présent considérée comme une étape importante de l’évolution humaine, la présence de molaires massives appartenant à Paranthropus, hominidé à la mâchoire puissante situé sur une branche latérale de notre arbre évolutif, suggère qu’ils auraient été potentiellement façonnés par ce dernier.
Situé dans l’Ouest du pays, le site de Nyaanga détient également la plus ancienne preuve d’hominidés consommant de très gros animaux, dont deux squelettes incomplets d’hippopotames préhistoriques qui montrent des traces claires de dissection, et des os d’antilopes semblent avoir été broyés pour l’extraction de la moelle.
Ces découvertes soutiennent les théories selon lesquelles les hominidés en dehors du genre Homo utilisaient des outils en pierre. Ils remontent également des milliers d’années à l’émergence de la technique oldowayenne, une méthode de fabrication d’outils d’Afrique de l’Est qui remonte à la période paléolithique.
La datation au radiocarbone et d’autres techniques ont estimé l’âge des artefacts récemment découverts entre 2,6 et 3 millions d’années, tout en analysant les traces d’usure de 30 d’entre eux. Ils montrent qu’ils ont été utilisés pour couper, gratter et écraser des carcasses d’animaux et écraser des plantes. . . Le fait qu’ils aient précédé la découverte du feu de 2 millions d’années suggère que leurs créateurs ont mangé des hippopotames et des antilopes crus, qui pourraient être écrasés pour les rendre plus faciles à mâcher.
Selon la paléoanthropologue Emma Finestone, conservatrice adjointe des origines humaines au Museum of Natural History de Cleveland, dans l’Ohio, Paranthropus était soupçonné d’utiliser des outils depuis plusieurs années. Mais cette idée est tombée en disgrâce, d’autant plus que les hominidés du genre Homo, qui utilisaient des outils en pierre, sont considérés comme plus intelligents, et parce que Paranthropus avait des dents et des mâchoires larges, cela suggère qu’il n’a peut-être pas besoin d’outils pour gérer son travail.
Sur une période de plus de dix ans, l’équipe de recherche, dirigée par Thomas Plummer, a identifié plus de 300 outils oldowayens sur le site de fouilles ; en 2019, ils ont également découvert une dent de Paranthropus. Une deuxième dent provenant d’un spécimen de Paranthropus différent a depuis été mise au jour au milieu d’un « éparpillement » d’ossements d’hippopotames découpés.
La plupart des connaisseurs pensaient que Paranthropus ne se servait que de ses dents robustes pour manger, mais « voilà qu’on retrouve Paranthropus sur un site en compagnie d’outils de pierre et d’un hippopotame dépecé », s’étonne Thomas Plummer, professeur d’anthropologie au Queens College de l’Université de la ville de New York et auteur principal de l’étude parue le 9 février 2023 dans la revue Science.
« Avec ces outils, vous pouviez écraser plus efficacement que les molaires d’un éléphant et trancher mieux que les canines d’un lion », estime le professeur Rick Potts, l’un des auteurs principaux de la nouvelle étude, publiée dans la revue « Science ». « La technologie oldowayenne s’apparentait à l’apparition soudaine d’une toute nouvelle série de dents à l’extérieur de votre corps, offrant à nos ancêtres évoluant dans la savane africaine un vaste éventail de nouvelles opportunités alimentaires. »
Les chercheurs ne sont pas sûr que ces outils ont été fabriqués et utilisés par Paranthropus, car des homininés appartenant à d’autres genres (comme Homo habilis) fréquentaient également la région de Nyayanga. Mais il y a de fortes chances que ce soit le cas.
Selon Fred Spoor, de l’Universty College de Londres, ces travaux pourraient inciter à repenser les capacités de Paranthropus. « Notre perception de ces créatures, influencée par leur apparence proche des gorilles, implique qu’elles soient souvent dépeintes comme des herbivores massifs et patauds passant leurs journées à mâcher des tubercules », explique-t-il.
Si la possibilité que cet ancien hominidé ait fabriqué ces outils est intrigante, il est également possible que les dents découvertes étaient celles de la proie plutôt que du chasseur. « Nous mangeons des joues de porc et celles de ces primates préhistoriques étaient particulièrement charnues », souligne le chercheur. « Je suis sûr qu’elles étaient très savoureuses. »
Angèle Reiner