Lors d’un sommet prévu ce mercredi 10 avril à Washington, le président états-unien, Joe Biden, et le Premier ministre japonais, Fumio Kishida, prévoient de dévoiler de nouvelles initiatives de coopération militaire et industrielle dans le but de renforcer leur alliance face à la Chine. (Avec « Les Échos »).
L’anxiété au sein du cercle dirigeant japonais est si palpable que les médias du pays ont inventé un terme pour décrire l’éventualité d’un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. À la télévision et dans la presse, on redoute le « moshi Tora » – « si Trump ». Avec la crainte d’une nouvelle victoire du candidat républicain, défenseur d’une politique étrangère de plus en plus néo-isolationniste et transactionnelle, le Premier ministre nippon, Fumio Kishida, va plaider, cette semaine, lors d’une longue tournée aux États-Unis d’Amérique,, en faveur d’un renforcement accéléré de l’alliance entre Tokyo et Washington.
Le dirigeant cherche à négocier avec Joe Biden, qu’il rencontrera ce mercredi 10 avril, notamment lors d’un grand dîner d’État, avant de prendre la parole le lendemain devant le Congrès états-unien, afin d’établir de nouveaux liens militaires et économiques que la prochaine administration pourrait avoir du mal à défaire. « Nous espérons que notre alliance avec les États-Unis sortira renforcée de ce sommet », résume un haut fonctionnaire japonais. « Nous voulons nous assurer que notre capacité de dissuasion sera plus robuste et crédible », insiste-t-il.
Menace Chinoise
En dépit de son refus de désigner une menace spécifique, le Japon est principalement préoccupé par l’escalade de l’agressivité de la Chine en Asie de l’Est, notamment autour de Taïwan et en mer de Chine méridionale. Dans cette dernière région, Pékin militarise progressivement des îlots revendiqués ou historiquement occupés par d’autres nations de la région, à plus de 1 200 kilomètres de ses propres côtes.
Décrivant cette pression chinoise comme « son plus grand défi stratégique », Tokyo s’efforce de redevenir une puissance militaire « normale » après avoir privilégié, pendant des décennies, une stratégie de défense basée sur la seule protection de son territoire. Le pays a reformé sa doctrine militaire en 2022. Il vient de doper de 16 % son budget annuel de défense . Il commence à s’autoriser à exporter, au compte-gouttes, des armes létales et a même annoncé l’acquisition de capacités de contre-attaque, tels que des missiles Tomahawk fabriqués aux Etats-Unis d’Amérique. « Le message qu’apporte Fumio Kishida à Washington est clair. Il vient dire que le Japon a rehaussé son jeu », prévient Nicholas Szechenyi au département « Japon » du « Center for Strategic and International Studies ».
Ayant besoin d’un Japon renforcé pour consolider le réseau d’alliances qu’il établit en Asie-Pacifique face à l’ascension de la Chine communiste, le gouvernement états-unien devrait, cette semaine, approuver la création d’un Conseil de défense conjoint entre les deux nations et mettre en place une nouvelle structure de commandement dans l’archipel où les États-Unis d’Amérique ont plusieurs bases accueillant au total 50 000 militaires.
Washington devrait également approuver de nouveaux accords de coproduction de matériel militaire et confier la réparation des navires de la marine états-unienne à des entreprises japonaises, évitant ainsi leur déplacement hors de la région pour des travaux d’entretien majeurs. Tokyo sera également encouragé à participer aux opérations du partenariat militaire « Aukus », impliquant les États-Unis d’Amérique, l’Australie et le Royaume-Uni.
De plus, Tokyo et Washington prévoient de renforcer leur collaboration dans le domaine de l’intelligence artificielle et de la sécurisation de leurs chaînes d’approvisionnement en matériaux stratégiques, tels que les batteries et les semi-conducteurs.
Cela offre à Tokyo l’occasion de souligner sa contribution à la croissance économique états-unienne. « Sur les 2 000 milliards de dollars d’investissements japonais à l’étranger, 33 % sont allés aux États-Unis », a souligné Satoshi Miura du « Jetro », l’organisation japonaise du commerce extérieur, la semaine dernière. « L’Union Européenne n’en a capté que 16 % et la Chine 7 % », a-t-il ajouté, notant que les entreprises industrielles japonaises emploient actuellement 500 000 travailleurs dans leurs usines états-uniennes.
Au cours de sa tournée états-unienne, Fumio Kishida fera une halte sur le chantier d’une usine de batteries Toyota en Caroline du Nord pour mettre en avant la force des liens économiques entre les deux nations, alors que Donald Trump menace de mesures toujours plus protectionnistes et critique l’offre de rachat d’ « US Steel » par l’entreprise japonaise « Nippon Steel », poussant même Joe Biden à exprimer des réserves à ce sujet. « Il serait vraiment désastreux qu’une question de politique intérieure comme celle de Nippon Steel finisse par éclipser l’importance stratégique des relations entre les États-Unis et le Japon que cette visite officielle est censée véhiculer », déplore Nicholas Szechenyi.
Didier Maréchal