Guerre à Gaza : Joe Biden officialise le placement de l’aide militaire à Israël sous conditions

Le président états-unien, Joe Biden, a officiellement annoncé que l’aide militaire à Israël serait soumise à des conditions.(Source : AFP).

«S’ils entrent à Rafah, je ne leur livrerai pas les armes.» Par ces quelques mots, formulés lors d’un entretien avec « CNN » diffusé dans la soirée de mercredi, Joe Biden a franchi un pas inédit en posant, pour la première fois, des conditions au soutien militaire états-unien à Israël. Oui, «des civils ont été tués à Gaza du fait de ces bombes» et munitions fournies à l’Etat hébreu par les États-Unis, et «c’est inacceptable», a ajouté Joe Biden, à l’orée d’un huitième mois d’offensive conduite par l’armée israélienne contre l’enclave palestinienne en réplique au massacre perpétué par le mouvement terroriste islamique Hamas, le 7 octobre 2023.

Cette admission, formulée avec sérieux intervient peu de temps avant la publication, par l’administration, Biden d’un rapport très attendu, destiné à déterminer officiellement si les récentes actions de Tsahal ont respecté la loi états-unienne et le droit international, que ce soit dans l’utilisation d’armes états-unienne ou dans l’éventuelle entrave à l’aide humanitaire.

Quelles qu’elles soient, les conclusions de cette évaluation devraient être lourdes de conséquences. En cas d’infractions formellement reconnues comme telles, Washington se trouverait tenu par ses propres réglementations de revenir sur ses engagements d’aide militaire à son allié historique, ou du moins d’en restreindre strictement la teneur à des moyens défensifs. Toute autre résolution aurait vraisemblablement pour effet d’attiser un peu plus encore les appels à la rupture avec les autorités israéliennes, qui émanent aussi bien d’une part croissante des élus démocrates au Congrès que d’une jeunesse mobilisée dans les universités et désormais les lycées, tellement fanatisée qu’elle en est rendue à crier et écrire des slogans pro-Hamas et donc purement antisémite, appelant, entre autres, à massacrer les juifs avec des « Un 7 octobre chaque jour » (en référence au 7 octobre 2023 où le Hamas a massacré, violé, torturé, démembré, brûlé vif et même mettre un bébé à cuire dans un four, près de 1 200 juifs).

Israël jusqu’ici ignore les avertissements des états-uniens

La communication aux législateurs du rapport et de ses conclusions était promise pour le mardi 7 mai, mais celle-ci aura été finalement différée de quelques jours, officiellement au titre de procéder à l’évaluation la plus juste et poussée possible. Joe Biden l’a cependant devancée en décidant la semaine dernière de geler, pour la première fois depuis le 7 octobre dernier, un envoi de 3 500 bombes à Israël.

Une décision alors effectuée à bas bruit, afin de faire passer un message concret à Benyamin Netanyahou et son cabinet de guerre, jusqu’ici sourds aux avertissements lancés par le président états-unien depuis décembre dernier quant au prix à payer par Israël sur la scène internationale pour ses «bombardements aveugles», et inflexible face aux divers appels de Washington à ne pas lancer contre la ville de Rafah la vaste offensive que prépare Tsahal depuis des semaines – cela, en dépit de la concentration sur place de près d’un million de civils déplacés par les bombardements et les combats dans l’enclave.

Divulgué d’abord au cours du week-end par des autorités israéliennes faisant part de leur stupeur, le choix de bloquer la livraison de bombes a été officiellement confirmé ce mercredi 8 mai par le patron du Pentagone, le ministre de la Défense Lloyd Austin, celui-ci précisant à une commission sénatoriale qu’aucune décision définitive n’avait encore été prise et que les Etats-Unis d’Amérique continueraient «à faire le nécessaire pour qu’Israël ait les moyens de se défendre lui-même».

Joe Biden est cependant allé plus loin dans la soirée en affirmant donc sur la chaîne « CNN » qu’Israël ne pourrait plus compter sur le soutien des Etats-Unis d’Amérique en matière de «bombes et munitions d’artilleries» si Netanyahou décidait de procéder à l’attaque des zones les plus densément peuplées à Rafah – après avoir esquissé ces derniers jours des opérations pour l’heure cantonnées aux marges de la ville et à la conquête du point de passage frontalier de l’Egypte. Selon la Maison Blanche, cela ne constitue pas encore un franchissement de la ligne rouge tracée depuis Washington. Le diagnostic livré par le président états-unien est qu’Israël est «au bord» d’aller trop loin, et met déjà en péril les négociations en cours sur une trêve et les échanges d’otages, en compromettant la relation avec Le Caire.

Si «chaque dollar» des milliards promis par le récent vote d’un package d’aide internationale au Congrès sera bien utilisé, comme l’a confirmé son administration au « New York Times », ce sera alors, selon les déclarations de Biden, pour «continuer à s’assurer qu’Israël est en sécurité grâce au « Dôme de fer » et à sa capacité à répondre à des attaques comme celles qui ont eu lieu récemment au Moyen-Orient», telle la spectaculaire (mais avant tout symbolique) offensive à base de drones et missiles lancée par l’Iran mi-avril. «Nous ne prenons pas nos distances avec la sécurité d’Israël ; nous prenons nos distances avec la capacité d’Israël à faire la guerre dans ces zones» urbaines où sont massées les populations civiles, plus vulnérables que jamais après sept mois de conflit meurtrier.

Les républicains «alarmés»

Par-delà ses principes et convictions, un Biden en campagne pour sa réélection fait face ces jours-ci à l’impossible défi de fédérer à nouveau derrière lui une coalition démocrate qui l’avait porté à la Maison Blanche en 2020, aujourd’hui fracturée non seulement par les questions du rôle états-unien dans le carnage à Gaza et de l’appui dû à Israël, mais aussi, à la marge, sur le bien-fondé de l’existence même d’un État juif au Proche-Orient. L’une des voix les plus engagées au Capitole à conditionner tout soutien au respect du droit international et à des objectifs humanitaires élevés, le sénateur Bernie Sanders, a salué la décision présidentielle comme «absolument juste» mais estimé qu’«il doit s’agir d’une première étape».

Selon le vieux socialiste du Vermont, «les États-Unis doivent maintenant utiliser TOUT leur pouvoir pour exiger un cessez-le-feu immédiat, la fin des attaques sur Rafah et l’acheminement immédiat de quantités massives d’aide humanitaire aux personnes vivant dans le désespoir. Notre pouvoir d’influence est clair. Au fil des ans, les États-Unis ont fourni des dizaines de milliards de dollars d’aide militaire à Israël. Nous ne pouvons plus être complices de l’horrible guerre menée par Netanyahou contre le peuple palestinien.» (reste que ce même Bernie Sanders n’a jamais déclaré son regret que son pays ai tué 960 000 civils japonais durant la guerre du Pacifique – incluant les deux bombes atomiques -, plus de 400 000 civils allemands durant la débâcle du III Reich d’Adolph Hitler, environ 200 000 civils irakiens, etc.. etc…)

Si elle ne suffit pas, de fait, à apaiser tous ceux à gauche qui appelaient depuis des mois à amender la posture états-unienne au Proche-Orient, la position affirmée par Biden lui a sans surprise valu les critiques parfois virulentes de l’opposition républicaine, tel le leader des sénateurs conservateurs, Mitch McConnell, qui a déclaré avoir appelé, ce mercredi matin, le principal conseiller en politique étrangère de la Maison Blanche, Jake Sullivan, «pour lui faire part de son inquiétude […] que l’on dicte à un allié comment mener sa guerre». Lui et le «speaker» républicain Mike Johnson ont également cosigné une lettre adressée au président, où ils réclament des «éclaircissements» d’ici la fin de la semaine et se disent «alarmés» par le tournant imprimé à la relation israélo-états-unienne.

Celui-ci, s’il demeure à confirmer et semble aujourd’hui suspendu avant tout aux choix de Netanyahou et son état-major à Rafah, ne serait cependant pas dénué de précédent : parmi les prédécesseurs de Biden, même les républicains Ronald Reagan ou George H. W. Bush avaient, en leurs temps, choisi de mettre entre parenthèses la politique du chèque en blanc en suspendant des livraisons de matériel militaire à ses alliés à Tel Aviv, afin d’en infléchir la ligne depuis le Bureau ovale.

Dans la première réaction officielle de l’Etat hébreu, l’ambassadeur d’Israël à l’ONU a fait part de sa déception. «C’est une déclaration très dure à entendre et décevante de la part d’un président à qui nous avons été reconnaissants depuis le début de la guerre», a déclaré Gilad Erdan à la radio publique israélienne. Accusant à demi-mots Washington de faire le jeu du Hamas. «Il est assez clair que n’importe quelle pression sur Israël, n’importe quelle restriction qui lui est imposée, même de la part d’alliés proches soucieux de nos intérêts, est interprétée par nos ennemis» et «leur donne espoir», a ajouté le diplomate israélien.

Didier Maréchal & Christian Estevez

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