La justice argentine a ordonné l’arrestation de l’actuel chef de la junte birmane ainsi que d’une vingtaine d’anciens responsables militaires et civils, dont Aung San Suu Kyi, pour « génocide et crimes contre l’humanité » à l’encontre de la minorité rohingya, ont révélé des sources judiciaires ce vendredi 14 février.
Une enquête ouverte en vertu de la compétence universelle
Cette décision, émise jeudi par la juge fédérale Maria Servini, s’inscrit dans le cadre d’une enquête lancée en 2021 à la suite d’une plainte déposée par des Rohingya pour des crimes présumés contre leur communauté. L’affaire repose sur le principe de « compétence universelle », inscrit dans la Constitution argentine, qui permet de poursuivre les responsables de crimes graves, indépendamment du lieu où ils ont été commis.
Dans sa résolution, la juge considère que les actes perpétrés contre les Rohingya en Birmanie constituent des « crimes violant les droits humains reconnus par divers instruments du droit pénal international » et les qualifie de génocide et de crimes contre l’humanité.
Les Rohingya, une minorité musulmane originaire de Birmanie, pays à majorité bouddhiste, font face à une persécution systématique depuis des décennies. Selon Amnesty International, ils vivent sous un régime assimilé à l’apartheid. En 2017, des vagues de violences ont contraint des centaines de milliers d’entre eux à fuir vers la Malaisie ou les camps de réfugiés du Bangladesh, où environ un million d’entre eux sont aujourd’hui installés.
Mandats d’arrêt internationaux envisagés
La juge Servini exige que les responsables birmans concernés soient entendus dans le cadre de l’enquête et estime que, compte tenu de la gravité des crimes en cause, un mandat d’arrêt international doit être émis. Parmi les personnes visées figurent Min Aung Hlaing, chef de la junte, ainsi que Htin Kyaw, président de 2016 à 2018. La résolution inclut également Aung San Suu Kyi, ancienne conseillère d’État et dirigeante de facto de la Birmanie entre 2016 et 2021.
Cependant, l’avocat argentin des plaignants rohingya, Tomas Ojea Quintana, a exprimé des réserves quant à l’inclusion d’Aung San Suu Kyi dans l’ordre d’arrestation. « Pour les plaignants, seuls les militaires ayant exécuté le génocide devraient être poursuivis à ce stade », a-t-il déclaré. Néanmoins, la juge a estimé qu’elle portait une part de responsabilité dans les événements.
En 2023, des Rohingya avaient témoigné pour la première fois en personne devant la justice argentine, lors d’une audience à huis clos à Buenos Aires. Une première audience virtuelle avait déjà eu lieu en 2021.
Un précédent judiciaire en Argentine
L’Argentine a déjà eu recours à la compétence universelle pour examiner des crimes commis à l’étranger. La justice argentine a notamment enquêté sur les crimes du régime franquiste en Espagne. Toutefois, l’application concrète des résolutions reste incertaine. En décembre dernier, la justice argentine avait déjà ordonné l’arrestation du président nicaraguayen Daniel Ortega pour « violations systématiques des droits humains », sans effet immédiat.
Malgré ces incertitudes, Tun Khin, président de l’Organisation des Rohingya birmans du Royaume-Uni (BROUK), a salué cette décision comme une « avancée historique vers la justice pour les Rohingya et pour tous ceux qui souffrent en Birmanie sous l’armée ». Il a ajouté que cela représentait « une lueur d’espoir pour une communauté qui endure un génocide depuis des décennies ».
Des recours parallèles devant la justice internationale
Parallèlement à cette procédure en Argentine, la communauté rohingya poursuit d’autres voies de recours devant la justice internationale. La Cour pénale internationale (CPI) et la Cour internationale de justice (CIJ) sont saisies de l’affaire. En novembre dernier, le procureur de la CPI a demandé l’émission d’un mandat d’arrêt contre Min Aung Hlaing pour crimes présumés contre l’humanité.
La prochaine étape en Argentine consistera à transmettre la demande d’arrestation au procureur, qui devra décider des démarches à entreprendre, notamment une éventuelle notification à Interpol.
Joseph Kouamé