La République démocratique du Congo (RDC) est en proie à des tensions militaires et politiques majeures alors que les combats contre le groupe armé M23 s’intensifient.
Bruxelles envisage de sanctionner Kigali
Alors que les tensions ne cessent de croître dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), l’Union européenne pourrait franchir un nouveau cap. Ce lundi 17 mars 2025, les ministres européens des Affaires étrangères se réunissent à Bruxelles, et selon plusieurs sources diplomatiques, neuf personnalités rwandaises ainsi qu’une entité pourraient faire l’objet de sanctions individuelles pour leur implication présumée dans le conflit en cours. La liste, déjà préparée mais bloquée en février par le veto du Luxembourg, prévoit une interdiction de séjour en Europe et le gel des avoirs pour les personnes concernées.
En février dernier, le Parlement européen avait voté en faveur du gel de l’aide budgétaire au Rwanda tant que Kigali ne rompait pas ses liens avec le M23 et ne garantissait pas l’accès humanitaire aux zones en conflit. Pourtant, le Luxembourg avait plaidé pour laisser une chance aux processus de médiation régionaux menés par l’EAC et la SADC. La réunion conjointe de ces deux organisations, initialement prévue pour le 28 février, avait été reportée à ce 17 mars.
Des sanctions déjà actées par d’autres pays
Face à l’inaction de l’UE, plusieurs pays ont déjà pris des mesures unilatérales. L’Allemagne a suspendu son aide au développement au Rwanda depuis le 4 mars, suivant les États-Unis qui, dès le 20 février, avaient imposé des sanctions contre James Kabarebe, conseiller spécial de Paul Kagame, et Lawrence Kanyuka, porte-parole du M23, ainsi que ses sociétés Kingston Fresh LTD et Kingston Holding. Le Canada et même le Royaume-Uni, allié traditionnel de Kigali, ont suivi le mouvement.
Le Rwanda, par la voix de son ministre des Affaires étrangères Olivier Nduhungirehe, dénonce ces sanctions qu’il juge contre-productives. « Le Rwanda n’a pas peur d’être isolé », a-t-il déclaré dans Le Monde, critiquant une approche qui, selon lui, sabote les efforts de médiation africaine.
Kagame hausse le ton, Luanda appelle à la trêve
Dans un discours prononcé le 16 mars, Paul Kagame a réaffirmé sa position : le Rwanda se défendra coûte que coûte. « Nous n’avons pas peur de nous battre contre ceux qui veulent nous anéantir », a-t-il lancé dans le cadre du programme « Kwegera Abaturage » (Se rapprocher des citoyens). Ce discours martial intervient alors que le président angolais João Lourenço, médiateur dans le conflit, appelle à un cessez-le-feu immédiat pour faciliter des négociations de paix prévues le 18 mars à Luanda.
Kagame, évoquant les traumatismes du génocide de 1994, considère la situation comme une « menace existentielle ». Son ministre des Affaires étrangères, dans une interview du 12 mars à la RTBF, a nié toute implication territoriale du Rwanda dans l’est de la RDC, accusant Kinshasa et ses milices de menacer la sécurité rwandaise.
Le M23 accuse Kinshasa de saboter les négociations
Le climat reste tendu alors que le M23, soutenu selon des experts par près de 4 000 soldats rwandais, a mené une offensive éclair, prenant Goma fin janvier et Bukavu mi-février. Le groupe armé, qui dit défendre les Tutsis congolais, accuse le gouvernement de Tshisekedi de chercher à torpiller les pourparlers de Luanda.
Dans un tweet du 16 mars, Lawrence Kanyuka accuse Kinshasa d’avoir intensifié les bombardements sur des zones civiles, mettant en péril le cessez-le-feu appelé par l’Angola. Le gouvernement congolais n’a pas réagi officiellement à ces accusations.
Malgré une invitation officielle au dialogue, Félix Tshisekedi refuse toujours tout contact direct avec le M23, qualifié de « terroriste ». Sa porte-parole a indiqué simplement « prendre acte » des initiatives de Luanda. Le scepticisme demeure donc quant à la tenue effective des pourparlers.
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Le cacao, nouvelle source de conflit dans le territoire de Beni
Une ressource précieuse dans une zone de guerre
Alors que la RDC est mondialement connue pour ses ressources minières, le cacao devient, à Beni (Nord-Kivu), une richesse stratégique et une nouvelle source de violences. Cultivé traditionnellement, il attire la convoitise des groupes armés, des contrebandiers, mais aussi de certains militaires corrompus.
Judith Kahindo, productrice locale, décrit le quotidien de nombreux agriculteurs : « Nous entretenons nos plantations avec la peur d’être tués, car le cacao est si convoité, aussi bien par les rebelles que par nos propres soldats ». Les ADF, groupe armé affilié à l’État islamique, sont responsables de nombreux massacres dans la région et perturbent l’accès aux plantations.
Le cacao dans les circuits de contrebande
Malgré une production modeste à l’échelle mondiale (50 000 tonnes en 2024), l’envolée des prix du cacao sur les marchés internationaux rend la ressource encore plus stratégique. À Beni, une partie importante du cacao est décabossée clandestinement et exportée illégalement vers l’Ouganda. Certains affirment que sans ce cacao, « la guerre serait déjà finie ».
L’ONAPAC, organisme chargé de la certification, peine à garantir la traçabilité des récoltes. Les commerçants ougandais, disposant de liquidités, achètent à bas prix et exportent sous l’étiquette de leur pays. « Les acheteurs ougandais déstabilisent le secteur », s’alarme la directrice locale de l’ONAPAC.
Les défis d’une filière en danger
Le potentiel de certification biologique du cacao de Beni est réel, mais les conditions sécuritaires empêchent la venue des inspecteurs. L’Union européenne a d’ailleurs exprimé ses doutes quant à la possibilité d’attribuer le label bio aux produits issus de cette région.
Le cacao, censé représenter une alternative économique pour la population, est aujourd’hui pris en otage par des logiques de guerre et de prédation. Une situation qui illustre, une fois de plus, l’impact du conflit sur les ressources naturelles et l’économie de la RDC.
Joseph Kouamé