L’agglomération stratégique de Walikale-Centre, au cœur de la riche région minière du Nord-Kivu, est passée sous le contrôle des rebelles du M23 mercredi 19 mars, selon une source militaire congolaise. Après de violents affrontements dans les rues et des tirs d’artillerie, les combattants du M23 ont pris possession de cette ville-carrefour, provoquant une panique généralisée parmi la population et une alerte humanitaire immédiate.
Fuite massive de la population, MSF en alerte
Avant même l’entrée des rebelles, les habitants avaient commencé à fuir en masse vers l’ouest, notamment vers la ville de Mubi, à 30 km de là. Des centaines de civils se sont réfugiés dans des hôpitaux, des églises ou même dans les forêts, fuyant les combats. Médecins Sans Frontières (MSF), qui dispose d’une base à Walikale, redoute un afflux massif de blessés. « Des explosions ont eu lieu près de l’hôpital général. Nous nous préparons à une arrivée importante de blessés », a déclaré Marco Doneda, chef-adjoint de mission de MSF.
Nangaa poursuit sa conquête, l’accord de Doha bafoué
Cette prise de Walikale-Centre survient au lendemain d’un cessez-le-feu signé à Doha entre les présidents Félix Tshisekedi et Paul Kagame. Corneille Nangaa, à la tête de la coalition M23/AFC, a ignoré cet accord, intensifiant ses offensives militaires. « Nous nous battrons jusqu’à ce que notre cause soit entendue », a-t-il affirmé dans un entretien à Reuters, rejetant toute légitimité aux négociations diplomatiques appuyées par les puissances étrangères. Pour lui, les accords avec Kinshasa sont une « trahison » des intérêts du peuple congolais.
Une prise hautement stratégique et symbolique
Walikale-Centre, peuplée de 60 000 habitants, se situe sur la route nationale n°3 reliant Goma à Kisangani et Kindu, et constitue un nœud économique crucial. Sa richesse en or, étain et coltan attire les convoitises. Le général Constantin Muhondisi Muyusa, récemment nommé à la tête de la 34e région militaire des FARDC, y avait installé son état-major, déplacé depuis Goma, désormais aux mains du M23. Cette prise marque un tournant dans la guerre, et souligne la stratégie du M23 d’asseoir sa domination sur les zones minières de l’Est.
Les violations du M23 : l’ONU tire la sonnette d’alarme
Un rapport du Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’Homme révèle que le M23 est responsable de 69 % des violations graves des droits des enfants enregistrées en janvier 2025 : enrôlement forcé, enlèvements, meurtres et mutilations. Le Nord-Kivu concentre 85 % de ces exactions. Le rapport note également une recrudescence des violences sexuelles, avec 12 incidents recensés touchant 45 victimes adultes, dont plusieurs cas de viols collectifs.
L’Ouganda, un acteur ambigu au cœur du conflit
L’implication de l’Ouganda dans le conflit reste trouble. Si Kampala soutient officiellement les FARDC contre les ADF dans le cadre de l’opération « Shujaa », plusieurs experts et rapports de l’ONU affirment que les services de renseignement ougandais ont apporté un « soutien actif » au M23. L’armée ougandaise a récemment renforcé sa présence en RDC, notamment à Bunia et Mahagi, près des réserves pétrolières exploitées avec TotalEnergies et CNOOC, révélant des intérêts sécuritaires mais aussi économiques dans la région.
Le président Museveni joue un jeu subtil, entre soutien officiel à Kinshasa et sympathie ethnique supposée pour les rebelles du M23. Sa relation complexe avec Paul Kagame et la montée en puissance de son fils, Muhoozi Kainerugaba, ouvertement favorable à Kigali, accentuent les incertitudes.
La paix menacée, le spectre d’un nouveau cycle de violence
L’avenir du cessez-le-feu de Doha semble compromis. La prise de Walikale et la posture intransigeante de Corneille Nangaa risquent de faire basculer la région dans un nouveau cycle de violences meurtrières. Tandis que la communauté internationale tente de maintenir un fragile espoir de paix, les populations civiles restent, une fois de plus, les principales victimes d’une guerre sans fin.
Joseph Kouamé